© Monnaie Magazine par Gildas Salaün, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes
Le florin est la première monnaie d’or frappée dans l’Occident médiéval depuis l’émission des quelques sous d’or connus pour Louis le Pieux (814-840), fils de Charlemagne. En effet, lorsqu’en 1252 la jeune République de Florence crée le florin, cela fait plus de quatre siècles que l’or n’est plus monnayé. Les ateliers monétaires n’étaient alors employés qu’à l’émission des petits deniers d’argent pesant environ un gramme.
LA PREMIÈRE PIÈCE D’OR DE L’OCCIDENT CHRÉTIEN
À partir du XIIe siècle la circulation des richesses ne cesse d’augmenter sous l’effet conjugué des relations commerciales accrues avec les États de l’Orient latin, nés des croisades, et de la multiplication des grandes foires, en particulier celles de Champagne. Ce développement du grand négoce rend alors l’usage des deniers d’argent de plus en plus malcommode. En effet, pour réunir des sommes conséquentes il fallait regrouper des milliers de petites pièces et ainsi transporter des kilos de métal ! C’est par exemple le cas du trésor de Mareuil-sur- Lay (Vendée) publié en 1844 par le célèbre numismate Faustin Poëy d’Avant (1792-1864) : caché dans les douves du château vers 1230-1250, ce dépôt monétaire pesait presque quinze kilos, mais ne représentait qu’une somme totale d’environ soixante livres, soit l’équivalent d’une cinquantaine de pièces d’or. L’usage de l’or monnayé, permettant de réduire considérablement le nombre et le poids de monnaies à transporter, devenait indispensable. Toutefois, faute d’une production locale, il fallait importer les pièces d’or… C’est notamment ce qui explique la multiplication des dinars en or almoravides (Dynastie berbère régnant sur un empire englobant la Mauritanie, le Maroc, l’Ouest de l’Algérie, une partie du Mali et tout le sud de la péninsule ibérique.), et de leurs imitations castillanes, retrouvés dans de nombreux trésors français enfouis au XIIe siècle, notamment le long de la façade atlantique. Incontestablement, le besoin en monnaies de forte valeur se faisait sentir dans toute l’Europe.
Dès 1252, Florence prend l’initiative en décidant la création du florin, une nouvelle pièce d’or pur au titre de 24 carats et d’un poids de 3,50 g. Pour les créateurs du florin, la puissante corporation des changeurs et banquiers (Arte del Cambio), l’une des cinq corporations des arts majeurs formant le « gouvernement du premier peuple » chargé d’administrer la République de Florence, cette innovation monétaire devait soutenir le développement international du commerce florentin.
L’enjeu étant capital, la fabrication du florin est placée sous la responsabilité de deux Signori della zecca (littéralement les « responsables de l’Hôtel des monnaies ») élus tous les six mois par les capitudini des arts. L’un de ces responsables était choisi parmi la corporation des changeurs, l’autre parmi celle des lainiers, car c’est sur le commerce des laines que reposait principalement la richesse de Florence. Très vite, le florin se révèle un instrument commercial redoutable car sa qualité métallique, basée sur la pureté de son or, lui vaut une excellente réputation parmi les marchands. Aussi, les négociants florentins s’en servent abondamment pour payer comptant leurs achats et s’assurent ainsi l’importation des meilleures laines brutes, très prisées pour la confection des draps. C’est donc en grande partie grâce au florin d’or que Florence compte près de 30 000 tisserands en l’An 1300 !
En 1284, Venise suit Florence en créant à son tour le sequin, une autre pièce d’or frappée au même titre et au même poids que le florin. Entre temps, le Roi de France Saint Louis (1226-1270) avait fait émettre en 1266 ses premiers écus d’or au poids de 4 g.
UNE MONNAIE À L’IMAGE DE SA VILLE
L’iconographie retenue pour cette belle pièce d’or est tout à l’image de Florence.
À l’avers apparaît la fleur de lys florencée (« il Giglio » en italien) qui orne le blason de la ville depuis le XIe siècle. Pour mémoire, les armes florentines sont alors d’argent au lis de gueules. Autour se lit la légende latine FLORENTIA, qui se traduit littéralement par « la ville de la fleur ».
Le revers est quant à lui consacré à Saint Jean-Baptiste, le saint patron de Florence. Figuré en pied sur tout le champ, il apparaît auréolé et vêtu de la peau de bête (de chameau d’après les textes, de mouton suivant la tradition artistique). Bénissant de sa main droite, le saint tient un sceptre cruciforme dans sa main gauche. Autour, apparaît son nom en légende S IOHANNES B. Entre cette dernière B et la tête du saint apparaît un petit symbole, c’est le différent monétaire désignant le maître de la Monnaie alors en exercice.
Fort de sa qualité métallique incontestable, de son iconographie immédiatement reconnaissable et de sa large utilisation par les réseaux marchands florentins, le florin se propage dans toute l’Europe montrant ainsi le rayonnement commercial de Florence, dont l’accès à la mer est enfin facilité par l’accord qu’elle signe en 1317 avec Pise, l’une de ses anciennes rivales. On retrouve effectivement des florins dans une multitude de trésors enfouis depuis les rives orientales de la Méditerranée jusqu’au littoral scandinave ! Mais, c’est peut-être en Angleterre que le florin s’est le plus diffusé car les négociants florentins y achètent d’énormes quantités de laines, surtout à partir de 1297. D’ailleurs, pour financer les débuts de la Guerre de Cent Ans, le Roi Édouard III (1327-1377) emprunte des sommes toujours plus importantes aux banquiers florentins, en particulier les Peruzzi. Aussi, est-ce en florins d’or qu’Édouard III paie les premiers canons dont ils équipent ses armées. Mais en octobre 1343, le Roi d’Angleterre, ayant accumulé une dette totale estimée à 1 355 000 florins (presque cinq tonnes d’or !), se retrouve dans l’incapacité de rembourser ses prêts entraînant un krach bancaire à Florence. Les Peruzzi et bien d’autres banquiers florentins sont ruinés.
UNE MONNAIE TRÈS IMITÉE
L’usage du florin dans le grand négoce international est tel que de très nombreux princes finissent par être tentés d’en faire frapper des imitations à leur profit. Le premier de ces imitateurs, le premier à céder à cette tentation du profit facile assuré par la confiance inconditionnelle que les marchands plaçaient dans le florin n’est autre que le Pape ! En 1322, Jean XXII (1316-1334) fait frapper dans son atelier de Pont-de-Sorgues, près d’Avignon, des pièces d’or reprenant exactement le poids, l’aloi et surtout les motifs du florin de Florence, mais en y ajoutant ses attributs comme différents monétaires, les clefs en sautoir et la mitre, et en remplaçant dans la légende le nom de Florence par celui de Saint Pierre SANT PETRH’. À moins d’un examen minutieux, la méprise était inévitable… Cette première imitation, dite « fiorino papale », courait alors pour la valeur de vingt-huit sous.
Dresser la liste des imitations du florin d’or relève de la gageure tant celles-ci ont été nombreuses, notamment au XIVe siècle. On compte des imitations du florin en Italie, en Espagne, en France (Comtat-Venaissin, Dauphiné, Aquitaine, Languedoc, archevêché d’Arles et principauté d’Orange), en Terres d’Empire (Pays-Bas, Flandre, Lorraine, Autriche, Allemagne, Hongrie et même l’actuelle Pologne). On trouve aussi des imitations du florin frappées en Grèce et en Turquie.
Chacune de ces imitations reprend la large fleur de lys à l’avers et la figuration de Saint Jean-Baptiste entouré de son nom au revers. Aussi, pour les distinguer faut-il s’attacher à lire précisément la légende inscrite par l’imitateur à la place de la mention latine FLORENTIA. En outre, chaque imitateur a pris soin de placer ses propres différents monétaires qui apparaissent à la fin des légendes sous la forme de petits symboles. Ces motifs sont parfois inspirés par l’héraldique de l’émetteur comme le cornet pour le prince d’Orange, les clefs de Saint Pierre pour le Pape, l’aigle bicéphale pour l’Empire, ou le heaume fleurdelisé pour le Roi de France.
L’appât du gain a poussé certains imitateurs à réduire le poids de leurs florins et/ou à en diminuer la proportion d’or fin. Dans cette catégorie, la palme revient sans conteste à Édouard III dont les imitations aquitaines du florin ne contiennent guère plus de 75 à 80% d’or. Il faut dire que le monarque avait une guerre à financer et une dette à rembourser. Sans parler du reste, nul doute que ces manipulations monétaires ont contribué à sa mauvaise réputation sur le continent… Toutefois, même si les études manquent, reconnaissons qu’Édouard III n’est pas le seul à avoir abaissé la valeur intrinsèque des florins. En effet, deux comptes rendus dressés par les maîtres de la Monnaie du Duché de Bar montrent que la proportion d’or contenue dans leurs imitations du florin est passée de 83% en 1365 à seulement 60 % huit ans plus tard !
Ainsi, s’il est depuis longtemps reconnu que le florin compte parmi les pièces les plus utilisées et les plus imitées au Moyen Âge, il ne faut pas oublier qu’elle fut peut-être aussi la principale cible des manipulations monétaires.
Quoiqu’il en soit, au XIVe siècle, du fait de son abondance et de son excellente réputation, le florin devient synonyme de « pièce d’or », et c’est souvent dans ce sens générique qu’il faut le comprendre quand on le retrouve dans les documents d’archive. D’ailleurs, dans les langues germaniques, florin se dit gulden, qui signifie littéralement « en or ». C’est ainsi que le florin est devenu un étalon de référence majeur très souvent utilisé pour exprimer les fortes sommes. C’est le cas dans le grand commerce international bien sûr, mais c’est aussi souvent en florins que l’on avait l’habitude de fixer le montant des rançons dues par les malheureux chevaliers capturés durant les batailles… Par exemple, Robert Ier Duc de Bar (1352-1411) rachète sa liberté 140 000 florins à ses geôliers messins en 1368, tandis que le Duc de Bretagne Charles de Blois (1341-1364) pris par les Anglais en 1347 doit leur verser 700 000 florins !
Rappelons enfin que le florin, et ses imitations, n’est pas uniquement une monnaie de circulation. Très apprécié pour sa qualité métallique, le florin est aussi souvent thésaurisé et placé parmi les dépôts monétaires confiés à la terre par les épargnants d’alors… Pas étonnant donc que les exemplaires conservés aujourd’hui soient encore aussi nombreux.