Le double sol aux deux L couronnés de Louis XV
©Monnaie Magazine – Monnaies Royales par Gildas Salaün, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes.
Le double sol aux deux L couronnés de Louis XV (1715-1774) est une petite monnaie de billon qui cache bien son jeu… En effet, raconter son histoire nous amène à traverser les océans et les siècles, à suivre matelots et forçats, billonneurs et faux-monnayeurs…
Une pièce mal aimée
Quoiqu’entamée dès le début du mois d’août 1738, la fabrication des doubles sols aux deux L couronnés ne commence officiellement qu’après la promulgation de l’édit royal d’octobre registré le 5 novembre suivant.
Dans l’édit, cette pièce est appelée « sol de 24 deniers », ce qui prête à confusion attendu qu’un sol vaut 12 deniers… C’est pourquoi, nous avons décidé de retenir l’appellation généralement admise entre les collectionneurs inspirée par le motif figuré au revers : « double sol aux deux L couronnés ». Pour mémoire, en voici la description complète :
Avers/ LUD XV D G FR ET NAV REX (Louis XV, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre) ; dans le champ un grand L couronné entre trois lis posés 2 et 1.
Revers/ SIT NOM DOM BENEDICTUM (béni soit le nom du Seigneur) ; dans le champ, deux L cursifs, composés de rameaux d’olivier et de palmes, entrecroisés sous une couronne1.
Cette belle composition, que l’on retrouve fréquemment dans l’ornementation architecturale, en particulier au château de Versailles, est l’oeuvre du graveur général Joseph Charles Roëttiers.
Le poids officiel était établi à 2,184 g, pour un titre de 75 % de cuivre et 25 % d’argent. Il est important de signaler que, par un procédé technique particulier, l’argent apparaissait essentiellement en surface.
Rapidement, cette pièce fut mal perçue par le public, car la pellicule d’argent, trop fine, disparaissait vite à cause de l’usure. Et pourtant, la Couronne en ordonna la frappe d’énormes quantités. Un rapport établit pour l’Assemblée nationale par le député Pierre Loysel en l’An V (1796-1797), estimait la production totale de ces doubles sols à plus de quatre vingt un millions de pièces, dont soixante seize millions frappées avant 17552 ! Il n’est donc pas étonnant que ce type soit encore aussi courant aujourd’hui, malgré d’importantes réformations et refontes. En effet, rien que sous le premier ministère de Jacques Necker (1777-1781), plus de trente deux millions six cent mille doubles sols furent refondus.
Ce rejet par les usagers s’est traduit par de nombreux refus et par une diminution de sa valeur libératoire abaissée à un sol et demi pour compenser la disparition de l’argenture.
L’aventure coloniale3
Toutefois, le double sol aux deux L couronnés n’avait pas été créé uniquement pour la métropole, il était également destiné aux colonies. Une manne inespérée car selon la doctrine colbertiste, les colonies n’étaient pas économiquement intégrées au royaume et manquaient donc constamment de numéraire. En effet, pour Colbert, la richesse d’un État était garantie par la quantité de métaux précieux qu’il détenait, aussi les pièces d’or et d’argent étaient-elles exclusivement concentrées en métropole, les colonies devant se débrouiller grâce au troc, aux lettres de change et aux billets, ce qui ne suffisait jamais…
Aussi, l’arrivée massive de doubles sols aux deux L couronnés fut-elle particulièrement appréciée aux colonies ! Mais là, sous le climat tropical, ces pièces s’altérèrent plus vite encore… Usées, désargentées, elles furent alors appelées « sous marqués », ou simplement « marqués », ou encore « noirs ». À Fort de France (Martinique), l’actuelle place Fabien s’appelait jadis « place des Quatre Noirs », et tirait ce nom des quatre sous marqués correspondant à la solde des militaires qui étaient casernés tout à côté.
Toutefois, même usées, ces pièces restèrent très appréciées. Elles étaient même convoitées par les colonies voisines tout aussi dépourvues en numéraire, qu’elles fussent anglaises, portugaises, ou hollandaises. Aussi, pour éviter la fuite des sous marqués, leur cours fut porté aux Antilles à deux sous et six deniers, soit deux sous et demi.
De multiples vies
Constatant leur rejet en métropole et leur succès aux colonies, la Couronne ordonna en janvier 1763 la réformation de six millions de doubles sols ! La Monnaie de Paris fut alors chargée de contremarquer ces pièces d’un C couronné (pour « colonies »), puis de les faire expédier aux îles d’Amérique et en Guyane. Dès lors, ces pièces y reçurent une nouvelle appellation les « sous tampés », c’est-à-dire estampés ou estampillés. Les sous tampés étaient désormais exclusivement réservés aux colonies, puisque l’édit royal prescrivait : « Défendons à tous nos sujets d’exposer les dites espèces dans notre royaume, et à tous capitaines, officiers, soldats, matelots, facteurs, passagers et autres gens composant les équipages de nos vaisseaux et à tous autres qui navigueront et commerceront dans nos Isles de l’Amérique, de rapporter lesdites espèces en France, à peine, contre les contrevenants, d’être poursuivis comme billonneurs4 et punis suivant la rigueur des ordonnances ».
1 On donne souvent la description suivante : « L cursif et rameau entrecroisés », ce qui est l’exacte vérité, mais l’intention de l’artiste était bien de donner à voir deux L entrelacés en trompe l’oeil.
2 Frédéric Droulers, Répertoire général des monnaies de Louis XIII à Louis XVI (1610-1793), Paris, 2012 ; page 780.
3 Daniel Cariou, « De Cayenne à Brest, l’histoire du sol tampé », Annales de la Société Bretonne de Numismatique et d’Histoire, 1994, pages 39 à 41.
Durant les premiers mois, le tampé conserva aux Antilles le même cours que le marqué, soit deux sous et six deniers. Pourtant, malgré ce cours forcé, les îles anglaises l’importèrent aussitôt en grandes quantités. Aussi, pour rendre cette exportation moins rentable et permettre au tampé de rester aux Antilles françaises, son cours y fut alors porté à trois sous et neuf deniers. Ces colonies reçurent ensuite deux nouvelles livraisons de sous tampés, cette fois réalisés sur des flans neufs. La première, pour un total de deux cent milles livres tournois, intervint en 1774, la seconde concernait trente mille livres supplémentaires pour Cayenne seulement en 1779.
Enfin, Louis XVI (1774-1792) introduisit un nouveau type monétaire en Guyane : la fameuse pièce de deux sous. Or, une nouvelle fois, cette dernière fut réalisée grâce à la réformation massive de doubles sols aux deux L couronnés : trois millions en 1782 et trois autres millions en 1788-1789 !
La préférée des faussaires
Sous toutes ses formes, le double sol aux deux L couronnés fut une proie très prisée des faussaires.
Les faux d’époque les plus élaborés, les plus rares aussi, reprennent le type d’origine. Il s’en rencontre notamment pour l’atelier de La Rochelle au millésime 1742. On les reconnaît à la largeur du L à l’avers, plus importante que sur les pièces authentiques.
On en trouve également sous la forme de pièces de deux sous de Cayenne au millésime 1781, année jamais produite officiellement…