Cet été, la ville de Berlin va célébrer deux anniversaires. Le 20 juin, les Berlinois commémoreront les 30 ans du vote du retour de la capitale de l’Allemagne unifiée à Berlin, puis le 12 août, les 60 ans de la construction du mur, entamée dans la nuit du 12 au 13 août 1961.
En effet, pendant toute la durée de la guerre froide, Berlin a été une ville symbole au cœur de tous les enjeux qui opposaient les deux modèles qui dominèrent le monde de 1945 à 1990, celui de l’URSS d’un côté et celui des Etats-Unis de l’autre. L’ancienne capitale prussienne, devenue l’une des plus grandes agglomérations européennes, ne retrouve donc son statut qu’en 1991 après 46 ans de déchéance !
Une ville plusieurs fois « capitale »
La ville de Berlin, contrairement à d’autres capitales européennes comme Rome, Londres ou Paris, est encore loin d’atteindre un âge canonique de plus de 1000 ans d’existence. Elle peut cependant se vanter d’avoir été choisie comme capitale à de nombreuses reprises.
Fondée officiellement en 1237 pour devenir la capitale de l’électorat de Brandebourg, elle entre dans le giron de la puissante famille des Hohenzollern en 1415. Joachim II, duc de Prusse, y impose le protestantisme en 1539. En confisquant les biens du clergé, il est le premier à mener de vastes réformes urbanistiques en dotant notamment la ville d’un palais, d’un boulevard principal et en incluant quelques faubourgs. La ville est cependant ravagée pendant la Guerre de Trente Ans au début du XVIIe siècle et elle est rebâtie par les ducs de Prusse qui en font un véritable bastion militaire, repeuplé grâce à l’accueil réservé aux juifs et aux huguenots qui fuient les persécutions menées par les souverains catholiques de France et d’Autriche.
En 1701, le prince-électeur de Prusse gagne le titre de « Roi en Prusse » sous le nom de Frédéric Ier. Berlin devient alors la capitale de la Prusse en détrônant Königsberg, le cœur historique, jugé trop excentré. A la fin du XVIIIe siècle, Berlin compte plus de 100 000 habitants, dont un quart de soldats de réserve. Elle est entourée d’un gigantesque rempart dont l’une des portes d’accès est la fameuse « Porte de Brandebourg ».

Vainqueurs de Napoléon Ier en 1814, les Prussiens profitent de la révolution industrielle pour faire de Berlin une immense ville entourée d’usines. La ville atteint alors les 500000 habitants. En encourageant Napoléon III à déclarer la guerre « aux Allemands », le Roi Guillaume Ier de Prusse obtient le soutien des autres nations allemandes dans son projet de réunification.

Vainqueur de l’Empereur des Français, il est acclamé à son tour « Empereur des Allemands » dans la Galerie des Glaces de Versailles en janvier 1871. Berlin devient alors la capitale de l’Empire d’Allemagne et atteint bientôt plus d’un million d’habitants. La Première Guerre Mondiale provoque cependant la chute de l’Empire, marquée par l’abdication de Guillaume II en novembre 1918. Berlin est alors touchée par d’importants mouvements révolutionnaires qui virent à la guerre civile entre les communistes « spartakistes » et le gouvernement républicain provisoire qui prend appui sur l’armée pour rétablir l’ordre. Berlin devient alors la capitale de la République de Weimar en 1919.
Le 1er octobre 1920, une loi lui permet annexer les villes voisines pour former une gigantesque conurbation de près de 4 millions d’habitants, le « Gross Berlin ». Malheureusement, les crises économiques provoquées par la défaite de 1918, puis par la crise de 1929, permettent à Hitler d’accéder au pouvoir en 1933. Ce dernier ambitionne alors de faire de Berlin, devenue la capitale de son « Troisième Reich », la future capitale du monde civilisé, qui prendrait alors le nom de « Germania ». Il demande donc à ses architectes d’imaginer des projets d’urbanisme très futuristes pour doter Berlin d’équipement colossaux à la hauteur de ses ambitions démesurées. Les gigantesques boulevards, les bâtiments aux proportions colossales et les palais géants fleurissent notamment dans la tête du fidèles Albert Speer mais très peu de projets seront concrétisés car la Seconde Guerre Mondiale mobilise toutes les ressources.
La folie d’Hitler entraîne l’Allemagne et sa capitale vers un destin funeste.
La ville est presque entièrement détruite par les bombardements aériens anglais et américains, puis par l’impitoyable « bataille de Berlin » menée par les Soviétiques entre le 16 avril et le 2 mai 1945. Avec moins de la moitié de ses habitants d’avant-guerre, Berlin en ruine, demeure pourtant la capitale, sur laquelle flotte désormais le drapeau soviétique.

Une ville divisée
Lors des différentes conférences entre Alliés, la question de l’occupation et du démembrement de l’Allemagne est évoquée. La décision est prise à Yalta en février mais les modalités de ce partage et de cette occupation de l’Allemagne vaincue ne sont adoptées que le 5 juin 1945, moins d’un mois après la capitulation sans condition des autorités nazies qui ont survécu au suicide d’Hitler.
Cette déclaration commune des différents commandants en chef des armées alliées est entérinée par les chefs de gouvernement qui se retrouvent à Potsdam le 17 juillet suivant. Les frontières de la Pologne, de la Tchécoslovaquie ou même de la France sont redéfinies et l’Allemagne elle-même, tout comme l’Autriche, est découpée en 4 secteurs d’occupation où des représentants des alliés auront toute autorité et devront procéder à la « dénazification » de la société et de l’économie. Berlin doit être reconstruite mais elle est, elle aussi découpée en 4 secteurs.

Les Soviétiques évacuent donc l’Ouest de la ville au cours de l’été 1945 pour laisser s’installer les Français, les Anglais et les Américains. Tous autorisent l’organisation d’élections municipales démocratiques le 20 octobre 1946 mais les communistes sont déçus de voir le principal parti marxiste, le SED, arriver seulement en 3e position derrière les sociaux-démocrates du SPD et les Chrétiens Démocrates conservateurs de la CDU. Déjà des tensions entre Occidentaux et Soviétiques apparaissent lorsque Winston Churchill dénonce l’existence d’un véritable « rideau de fer » qui est tombé sur l’Europe, le 6 mars 1946 dans son discours de Fulton aux Etats-Unis. Il reproche en effet aux Soviétiques de ne pas avoir organisé des élections démocratiques libres et équitables et d’avoir favorisé la prise du pouvoir par les partis communistes dans tous les Etats européens qu’ils ont « libérés » à l’Est et dont ils ont obtenu l’occupation provisoire pour aider à la reconstruction.
Le 1er janvier 1947, les Américains et les Britanniques, bientôt rejoints pas les Français, décident de mettre en place un gouvernement unique à l’Ouest. En réponse, les Soviétiques se retirent du « Conseil de contrôle interallié » le 19 mars 1948, ils confient le pouvoir au parti communiste à Berlin et dans tous les landers de l’Est, et s’emploient à perturber les communications entre l’Ouest de l’Allemagne et la partie Ouest de Berlin « enclavée » à l’Est.
Le 21 juin, afin de redresser l’économie allemande au plus vite, les Etats-Unis impose l’introduction d’une nouvelle monnaie, le Deutsch Mark, en remplacement du Reichsmark. Le taux choisi est de 1 pour 1 et une première somme de 60 DM est distribuée à chaque habitant afin de relancer la consommation. Cette décision est vitale pour l’économie allemande car elle permet d’assainir la situation financière et monétaire en annulant la majeure partie des dettes contractées pendant la période nazie et en imposant une devise dont la valeur est rattachée au dollar conformément aux accords de Bretton Wood de 1944. Cette décision unilatérale est vécue comme un affront par les Soviétiques qui craignent, avec raison, de voir affluer les vieux reichsmarks.
Le 24 juin 1948, pour forcer les alliés à céder Berlin Ouest, Staline ordonne le blocus de la ville. Les Occidentaux parviennent alors à organiser un formidable « pont aérien » qui transportera près de 2 millions de tonnes de marchandises pendant les 322 jours du blocus qui prend fin le 12 mai 1949. Le plan de Staline a échoué mais le divorce est consommé. Les Américains encouragent alors la création d’un Etat unique à l’Ouest, la République Fédérale d’Allemagne, le 24 mai, tandis que Staline ordonne le 7 octobre, la création d’un nouvel Etat à l’Est, la République Démocratique d’Allemagne. La partie Ouest de Berlin, se retrouve alors enclavée à l’intérieur de la RDA et la ville est gérée par deux municipalités distinctes. Cependant, les citoyens des deux parties de la ville conservent le droit de circuler librement entre les zones et nombreux sont ceux qui franchissent tous les jours la « frontière » pour aller travailler, le plus souvent à l’Ouest, ou se loger, le plus souvent à l’Est car les loyers sont encadrés par l’Etat communiste.
A la mort de Staline en 1953, les citoyens allemands pensent que le régime va se libéraliser. En mai 1953, Walter Ulbricht, qui dirige la RDA d’une main de fer, choisit au contraire de durcir les conditions de travail à l’Est et de restreindre les libertés. Les manifestations ouvrières qui s’en suivent en juin provoquent l’intervention musclée de l’armée rouge qui n’hésite pas à tirer dans la foule. La présence de quelques « Allemands de l’Ouest » dans les manifestations permet au gouvernement de dénoncer une tentative de « soulèvement contre-révolutionnaire ».
De plus en plus d’Allemands de l’Est songent alors à passer à l’Ouest pour fuir l’oppression et obtenir de meilleures conditions de vie car si l’économie ouest-allemande redémarre avec un soutien financier considérable de la part des Etats-Unis via le « plan Marshall », celle de l’Est ne décolle pas, surtout après que Staline ait ordonné le démantèlement puis le transfert d’usines stratégiques de Berlin vers l’URSS.
Le 27 novembre 1958, Krouchtchev enfonce le clou en exigeant : « le départ des troupes occidentales sous 6 mois, pour faire de Berlin une ville libre et démilitarisée ». Cet ultimatum vise à obtenir par la ruse, ce que Staline n’avait pu obtenir par la force : la fin d’une présence militaire occidentale enclavée à l’Est ! Cette perspective encourage encore davantage d’Allemands à rejoindre l’Ouest. En 1961 ils sont déjà plus de 3 millions à avoir choisi de « voter avec leur pied » en migrant vers le monde capitaliste.
Le « mur de la honte »
Début août 1961, une folle rumeur provoque l’exode de 47 000 citoyens en moins de 15 jours, mais cette rumeur est fondée, les autorités est-allemandes ont obtenu l’accord de Moscou pour entamer la construction d’un mur visant officiellement à « protéger les citoyens contre le fascisme ». Au bord de l’effondrement économique, les autorités de RDA souhaitent avant tout stopper la fuite de la main d’œuvre qualifiée, empêcher la contrebande et mettre fin au trafic de devises qui ruine la monnaie est-allemande et met en péril son fragile équilibre entre bas salaires et faible coût de la vie.
La construction du mur débute en pleine nuit entre le 12 et le 13 août 1961 avec la pose de barbelés. Subitement, des centaines de citoyens de l’Est se retrouvent bloqués à l’Ouest et ne peuvent retrouver leur foyer. L’opération « Muraille de Chine » prévoit alors la construction à une cadence accélérée de centaines de miradors et surtout d’un mur en béton de 3.60 mètres de haut accompagné d’un chemin de ronde. Le dispositif doit être rapidement parfaitement imperméable. C’est chose faite début septembre !

Les autorités ouest-allemandes sont prises de cours et peinent à réagir. Le chancelier Adenauer attend fin août pour se rendre à Berlin où le maire de l’Ouest, Willy Brandt, crie au « crime contre le droit international et l’Humanité ». Il est rejoint par des milliers de manifestants à l’Ouest… impuissants face à la détermination du secrétaire du Comité Centrale du SED pour les questions de sécurité, Erich Honecker, futur dirigeant de la RDA.

Les Alliés, au contraire, sont presque rassurés de voir que les communistes renoncent à leur projet d’annexer l’Ouest. Le Président Kennedy déclare même dans un premier temps « préférer cette solution peu élégante à la guerre » ! Le 27 octobre 1961 cependant, un simple incident dégénère en risque de conflit militaire lorsque les gardes-frontières soviétiques interdisent à leurs homologues occidentaux de franchir la frontière au point de passage de Checkpoint Charlie alors que les accords de 1945 prévoyaient une liberté de circulation pour les forces d’occupation alliées.
Pendant 3 jours, une dizaine de blindés se font face de part et d’autre de la frontière avant que chacun ne décide de se retirer pour éviter l’escalade. Ce sera le dernier accrochement militaire entre Soviétiques et Occidentaux en Europe. Dès lors, chacun choisit de transformer son côté de la ville en une véritable vitrine de son idéologie. Berlin Ouest bénéficie alors de nombreux avantages sociaux et fiscaux ainsi que de subventions massives du gouvernement fédéral soutenues par des prêts américains.
Les sièges sociaux des grandes firmes allemandes comme Mercedes et Siemens se dressent fièrement à l’Ouest tandis que Berlin Est construit des monuments de prestige dédiés au peuple comme l’horloge universelle de l’Alexanderplatz ou l’hôtel Stadt Berlin qui culmine à 123 m de hauteur ! Les autorités est-allemandes cherchent également à repeupler la ville et ses faubourgs en érigeant d’imposants immeubles de logements populaires à loyers modérés.
Le 27 juin 1963, le Président Kennedy se rend à Berlin sur l’invitation de Willy Brandt. Il y observe les installations frontalières depuis une promontoire et prononce un discours devenu célèbre : « Ich Bin ein Berliner » dans lequel il fustige l’attitude des autorités est-allemandes et dénonce l’échec flagrant du modèle communiste obligé d’enfermer ses citoyens dans une vaste prison.
Le mur est vu comme un aveu d’échec et une humiliation pour toute l’Europe orientale sous le joug soviétique. Il prend alors le surnom de « mur de la honte ». Jusqu’en décembre 1963, aucun Allemand n’est autorisé à franchir le mur et déjà quelques tentatives d’évasions ont eu lieu avec plus ou moins de succès via des galeries souterraines ou en franchissant les cours d’eau à la nage. Pendant un mois, quelques centaines de milliers de Berlinois sont autorisés à rendre visite à leurs parents qui vivent de l’autre côté du mur, mais cette mesure d’exception prend fin début janvier 1965.
Le mur est refermé et il fait prendre conscience aux Allemands qu’ils ne souhaitent pas vivre dans la division. L’idée de réunification renait et elle est encouragée par « l’Ostpolitik », politique de rapprochement avec l’Est, suivie par le nouveau chancelier Willy Brandt, ex-maire de la Berlin Ouest, et Erich Honecker, ancien responsable de l’édification du mur durant les années 70.

La chute du mur
Dans les années 80, le contexte change à l’Est. L’URSS désormais dirigée par Gorbatchev entame des réformes importantes : la Perestroïka, une ouverture au libéralisme et au capitalisme limitée, doit permettre de redresser l’économie moribonde suivant ainsi l’exemple spectaculaire de la réforme chinoise de 1978 qui a sorti le pays du Moyen-Âge industriel dans lequel il était tombé sous Mao.
Sur le plan politique, la Glasnosk, ou transparence, doit permettre une meilleure reconnaissance de l’autorité du parti communiste qui accepte de partager à minima ses décisions et d’autoriser la presse et les citoyens à s’exprimer un peu plus librement. Malheureusement, le coût de l’interminable guerre en Afghanistan et de la catastrophe atomique de Tchernobyl en 1986 achève de ruiner l’économie soviétique. Elle n’est désormais plus en mesure de réprimer violement les mouvements de contestations qui ont déjà pu secouer les Etats satellites d’Europe de l’Est comme à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968. Ainsi, les mouvements syndicaux ou les intellectuels partisans de plus de liberté et d’ouverture trouvent un écho largement partagé dans la population en Hongrie, en Pologne ou en Tchécoslovaquie. Seules la Roumanie et la RDA demeurent intransigeantes. D’ailleurs, la plupart des victimes des gardes-frontières berlinois, les fameux « vopos », sont abattus dans les années 80, mais en 1989, la situation change encore.
Au printemps, la Hongrie choisit de passer outre ses accords avec l’URSS en ouvrant ses frontières avec l’Autriche. Des milliers d’Est-Allemands en profitent pour demander des laisser-passer vers la Hongrie afin de, par la suite, passer en Autriche puis en RFA.
Au mois d’août, plus de 25 000 citoyens ont rejoint l’Ouest et ils sont encore des milliers de candidats en septembre à faire le siège des ambassades notamment à Prague pour obtenir le droit de franchir le rideau de fer.
Le 7 octobre, à l’occasion des festivités organisées à Berlin pour commémorer le 40e anniversaire de la RDA, Gorbatchev réaffirme qu’il n’apporterait pas de soutien militaire à la RDA en cas de mouvements populaires. En effet, depuis quelques semaines, des manifestants se réunissent tous les lundis dans les grandes villes de RDA pour réclamer des réformes, la liberté de circuler et le départ des dirigeants intransigeants. Erich Honecker promet alors que le mur tiendra encore 100 ans !
Le 18 octobre, sous la pression du Politburo, il est contraint de démissionner pour céder la place à Egon Krenz, chef du parti SED. Le 8 novembre, incapable de mener les réformes nécessaires pour redresser l’économie et apaiser les contestations populaires, le Conseil des ministres démissionne à son tour.
Le matin du 9 novembre, Krenz réunit une cellule de crise pour prendre des mesures d’urgence. Parmi celles-ci, un projet de loi visant à faciliter « les voyages privés vers l’étranger sans présentation de justificatifs, motif de voyage ou lien de famille ». Le nouveau porte-parole du gouvernement, Gunter Schabowski, est chargé de communiquer la nouvelle à la radio lors d’une conférence de presse prévue à 18h.
Mal préparé, Schabowski peine à détailler les mesures envisagées dans la matinée, puis finalement, en fin de conférence, vers 19h, il accepte de répondre aux questions des journalistes.
Ceux-ci s’empressent de lui demander à partir de quand il sera possible de se déplacer hors des frontières. Pris de cours, le porte-parole répond maladroitement : « pour autant que je sache… immédiatement… sans délais » ! Un journaliste le presse de répondre pour savoir si cette mesure était aussi valable pour Berlin Ouest ? Pressé d’en finir, il répond « oui, oui… »
puis il rentre chez lui tandis que l’information fait rapidement le tour de la ville et du pays. A 19h30, le journal télévisé officiel annonce que les demandes de voyage peuvent être faites dès à présent sans motif. A 20h00, les Allemands de l’Ouest apprennent aussi la nouvelle. A 20h30, des milliers de citoyens se rendent vers les postes frontières tandis que les gardes n’ont encore reçu aucune consigne. A 20h45, les députés du Bundestag, réunis en séance plénière à Bonn entonnent l’hymne national. Finalement, à partir de 22h00 les gardes commencent à être débordés. Pour réduire la pression, ils ont reçu l’autorisation de laisser passer quelques personnes. Les gens pensent alors qu’ils sont totalement libres de traverser. A 23h00, un premier officier décide d’ouvrir son point de passage de Bornholmer Strabe. Son exemple est suivi par les autres. A partir de minuit, la foule est telle que les gardes commencent à démolir eux-mêmes le mur pour ouvrir de nouvelles brèches.
C’est ainsi que le mur est tombé dans la nuit du 9 au 10 novembre sans qu’aucune autorité de l’Est ou de l’Ouest ait pu le prévoir ou le contrôler. Mis devant le fait accompli, le gouvernement est-allemand renonce à toute intervention militaire et le 13 novembre, le parlement de RDA se dit ouvert aux négociations tandis que Gorbatchev déclare que la réunification est une question que les Allemands doivent régler seuls.

La réunification de l’Allemagne
Pour le Chancelier Helmut Kohl, qui déclarait encore le 11 juin 1989 que « les chances d’une réunification étaient inexistantes », une seule suite logique s’impose, la réunification allemande. Dès le 28 novembre 1989, il élabore un plan de réunification en 10 points. Il prévoit notamment de freiner l’immigration en investissant massivement en Allemagne de l’Est, en privatisant les grandes entreprises en difficulté et tous les secteurs essentiels au fonctionnement, et en répartissant l’immense dette publique est-allemande entre les différents landers de RFA. L’une des questions prioritaires, avant même de procéder à la réunification, est celle de l’unité monétaire. Le traité monétaire signé le 18 mai 1990 est un pari sur l’avenir.

En effet, alors que tous les conseillers et les experts préconisent une transition progressive avec un taux de change fixe à atteindre après une série de mesures sociales et fiscales pour maintenir les habitants à l’Est, Helmut Kohl tient à tenir sa promesse électorale et son engagement envers les citoyens de RDA. Il impose ainsi, contre toute logique économique ou monétaire, un taux de change de 1 Deutsche Mark pour chaque Ost Mark alors que le taux réel est plutôt proche des 1 pour 4 ou 5 en raison du déclin déjà ancien de l’Allemagne de l’Est. Mais le chancelier a conscience de la portée politique et patriotique de sa décision. Il est confiant envers l’extrême solidité du Deutsch Mark face aux autres monnaies européennes et mondiales et il sait que l’adoption de sa devise, qui a apporté la prospérité en RFA depuis 1948, est perçue comme l’un des principaux symboles de liberté en RDA.
Déjà avant la chute du mur, posséder des Deutsch Mark, notamment grâce au marché noir, était la clef qui permettait d’accéder aux produits occidentaux. Si le gouvernement avait choisi un taux de conversion de 1 pour 4, les pauvres citoyens est-allemands auraient vu leurs maigres économies réduites à peau de chagrin et ils auraient été relégués au rang de citoyens de seconde zone, valant à peine un quart de leurs frères de l’Ouest ! Il était hors de questions de les humilier davantage et le chancelier estime donc que le risque économique est mesuré, tandis que l’impact idéologique est immense à l’Est.
Pourtant, si les citoyens est-allemands vont alors massivement adhérer à l’idée de la réunification, il n’en va pas de même pour les entreprises d’ex-RDA qui se retrouvent obligées de payer leurs ouvriers en Deutsch Mark alors que leurs produits, de mauvaise qualité, sont pratiquement invendables. L’activité industrielle va ainsi diminuer de moitié en à peine 6 mois mais le processus peut continuer avec l’engouement de la population. Les élections à la « Chambre du peuple » qui se sont tenues le 18 mars 1990 en RDA ont donné la victoire à l’Alliance pour l’Allemagne qui l’emporte sur la SED. Ainsi, dans la nuit du 22 au 23 août suivant, la Volkskammer peut voter la déclaration favorable à la réunification. Un « traité d’unification » est signé dès le 31 août 1990, il indique déjà que la capitale sera Berlin mais il stipule que la question du siège du gouvernement sera à débattre en séance parlementaire.
Les modalités de la réunification sont ratifiées par les deux parlements de l’Est et de l’Ouest le 20 septembre avec une quasi unanimité. Le 12 septembre, le Traité de Moscou redonne sa pleine souveraineté à l’Allemagne pour décider de son sort. La réunification de l’Allemagne peut donc être effective et reconnue par la communauté internationale le 3 octobre 1990. Le jour même, Berlin est réunifiée en une seule entité et cette date est devenue depuis, la fête nationale allemande. La date du 9 novembre n’a pas été retenue car elle correspond également à d’autres événements historiques plus malheureux comme la tentative de putch d’Hitler à Munich en 1923 ou la « nuit de cristal » de 1938 !

Berlin réunifiée ne redevient la capitale qu’en 1991 !
Si Berlin est réunifiée et est déjà considérée comme la capitale historique de l’Allemagne, elle n’est pas encore officiellement le siège du gouvernement, installé à Bonn depuis 1949. Il faut donc organiser un débat à l’Assemblée Législative unique, le Bundestag, qui a été élu le 2 décembre 1990 pour adopter le choix de la localisation du gouvernement. Ce débat se tient à Bonn le 20 juin 1991. La CDU d’Helmut Kohl, qui n’a pas la majorité absolue doit convaincre les autres partis pour l’emporter. Ce sont finalement les petits partis comme les Verts ou les Libéraux qui se montrent les plus enthousiastes en y voyant un geste supplémentaire d’unité nationale.
A l’issue du vote, la majorité est courte puisque le choix de Berlin l’emporte par 338 voix seulement contre 320 pour Bonn. Les journaux accueillent la nouvelle avec exaltation mais la joie populaire est plus modérée, y compris à Berlin où l’on craint de voir débarquer une légion de fonctionnaires en quête de bureaux et de logements. Le coût du déménagement est d’ailleurs estimé à près de 10 milliards de Mark, notamment pour moderniser la nouvelle capitale et la doter de toutes les infrastructures modernes indispensables. Le déménagement sera donc très progressif puisque le gouvernement ne s’installera définitivement que le 7 septembre 1999, suivi par le Bundestag et le Bundesrat le 29 septembre de la même année. En compensation, pour limiter les pertes économiques pour Bonn et ses environs, l’ancienne capitale conserve les sièges de nombreux ministères secondaires, des ambassades et un certain nombre d’institutions publiques, dont certaines d’ailleurs était déjà décentralisées sur d’autres grandes villes allemandes comme la Banque Fédérale implantée à Francfort depuis 1957.
Cela fera donc 30 ans cet été que Berlin est redevenue officiellement la capitale et le siège du gouvernement de l’Allemagne unifiée et 60 ans que le mur de Berlin a été érigé. Il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui, à part quelques pans encore visibles, conservés pour le devoir de mémoire, ou des morceaux soigneusement conservés par d’habiles « chasseurs de souvenirs » qui se sont enrichis en vendant des petits bouts de mur à 6 euros pièce aux touristes ou même des blocs entiers de 1.2 m de large pour pas moins de 10 000 euros !
En revanche, aucun des ateliers monétaires allemands de Munich, de Hambourg, de Stuttgart ou de Berlin, n’a prévu d’émettre des pièces commémoratives dédiées. Il faut revenir aux productions de 2019, commémorant les 30 ans de la chute du mur, ou de 2020, célébrant les 30 ans de la réunification, pour retrouver de magnifiques produits monétaires consacrés à Berlin.