En septembre 2019, Monnaie Magazine vous avait présenté le rôle de cette administration dans le cadre de la lutte contre le trafic des biens culturels. Un évènement récent nous amène à revenir sur ce sujet. Le 17 mai dernier, la Douane française, représentée par le directeur interrégional des Douanes d’Île-de-France, Gil Lorenzo, et en présence de Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections de la Direction des Musées de France, remettaient au Musée des Antiquités Nationale de Saint-Germain-en-Laye, 22 pièces de monnaies gauloises saisies en 2018 et dont le Ministère de la Culture leur a attribué la garde. Cette manifestation met en lumière l’action nécessaire de lutte contre le trafic de biens culturels. Et cela touche aussi bien ceux quittant clandestinement l’UE, que ceux pillés sur des sites archéologiques, ou ceux importés en UE et provenant souvent de zones de guerre où ils sont volés (on pense en particulier à la Syrie ou l’Irak par exemple).
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L’affaire
Le 25 avril 2018, les agents du service Roissy-UDD procèdent au contrôle d’un colis contenant des pièces de monnaies anciennes d’une valeur déclarée de 11 800 euros, ayant pour expéditeur un Hôtel des ventes du Grand Est et à destination des États-Unis. Ayant des doutes sur l’origine et la valeur des objets, les douaniers consignent les pièces et en sollicitent l’expertise auprès du service de l’archéologie de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Île-de-France. Celui-ci, après examen, conclut qu’elles sont toutes en bronze ou en argent, qu’elles proviennent très probablement de fouilles et ont une valeur historique et archéologique notable. Elles relèvent en effet de la catégorie 1A de l’annexe 1 du Code du patrimoine et de la catégorie 1 de l’annexe du règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l’exportation de biens culturels et doivent être accompagnées d’un certificat national pour sortir de France et d’une licence autorisant l’exportation hors du territoire de l’Union européenne. La société exportatrice n’ayant pu présenter ces autorisations, une infraction réputée exportation sans déclaration de marchandises prohibées lui a été notifiée par procès-verbal du 25 juin 2018 et les pièces ont été saisies. Le 25 octobre 2018, l’infracteur abandonne par voie transactionnelle au profit de l’administration des douanes les 22 pièces de monnaie antiques. Afin de trouver une destination à ces biens et conformément aux instructions relatives aux conditions de cessions gracieuses des marchandises confisquées en justice ou abandonnées par transaction, plusieurs échanges ont lieu entre la Direction Régionale des douanes de Roissy Fret et la DRAC d’île-de-France. En mars 2019, deux récipiendaires potentiels sont envisagés, le Musée d’archéologie nationale (MAN) – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye et le Cabinet des monnaies et médailles de la Bibliothèque nationale de France.
A l’issue des échanges, il est finalement proposé une remise au MAN, qui s’est déclaré intéressé en août 2021. Après la tenue au Service des musées de France (Direction générale des patrimoines et de l’architecture – Ministère de la Culture) des commissions d’acquisition requises pour toute entrée dans les collections d’un musée national, les 2 et 8 décembre 2021, cette remise a donc été actée le 17 mai 2022 par la signature d’un procès-verbal de cession définitive entre la douane et le ministère de la Culture pour affectation aux collections du MAN.
Les monnaies saisies
Ces 22 monnaies gauloises saisies formaient un ensemble exceptionnel, au point de vue de la numismatique celtique. Elles proviennent des émissions des principaux peuples de la Gaule, au moment de la guerre de conquête de Jules César – tels les Arvernes de Vercingétorix, les Carnutes de la région de Chartres, les Ambiens d’Amiens, les Suessions de Soissons ou encore les Sénons des environs de Sens. Ce sont des frappes d’argent, de bronze et de potin et surtout, des objets de très haute qualité, parvenues pour l’essentiel dans un état de préservation exceptionnel. Collectées dans toute la Gaule soulevée contre l’invasion romaine aux côtés de Vercingétorix, ces monnaies avaient manifestement été rassemblées durant de nombreuses années. En revanche, dans ce cas spécifique, on peut ainsi exclure une provenance de pillage de site archéologique. L’autre grand intérêt de ces monnaies est la présence de mentions épigraphiques en langue gauloise, parmi lesquelles on reconnaît le nom des émetteurs comme ECTA EBVRO des Aulerques-Eburovices (région d’Evreux) ou LIXIOVATIS des Lexoviens (environs de Lisieux). D’autres portent le nom de grands chefs gaulois sous l’autorité desquels ces monnaies ont été frappées, tels Espagnactos chez les Arvernes ou probablement Pixtilos chez les Carnutes. Notez que 4 de ces 22 monnaies exceptionnelles n’étaient pas représentées dans la collection de numismatique celtique et gauloise du musée d’archéologie nationale, pourtant seconde, en importance au plan européen, après celle du Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale.
Découverte d’un trésor : quel cadre légal ?
La loi encadre très strictement les recherches au détecteur de métaux. Elles ne sont autorisées sur des sites considérés comme ayant une valeur archéologique qu’avec une autorisation des autorités (l’article 542 du Code du Patrimoine « Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche »).
La détection de loisirs est autorisée mais à certaines conditions, la principale étant d’avoir l’accord des propriétaires privés pour fouiller chez eux. Cette détection chez les privés est cependant circonscrite aux biens privés et familiaux dont on peut justifier de la propriété et des objets métalliques récents. Si lors d’une recherche fortuite, un objet ayant un caractère historique est découvert, il doit être déclaré aux services régionaux de l’archéologie des directions régionales des affaires culturelles (article L. 531-14 du Code du Patrimoine). L’article 716 du code civil indique par ailleurs, qu’un trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard. La jurisprudence est venue préciser qu’une découverte effectuée au détecteur ne peut plus être qualifié de « trésor » puisque sa découverte ne tient pas du « pur effet du hasard ». Dès lors, les clauses du Code Civil sur le partage d’une découverte faites au détecteur sont rendues caduques du simple fait de l’usage du détecteur. Pour que le partage ait lieu, il faut un contrat qui précise ce point, sous réserve que le terrain ait été acquis avant juillet 2016. Si le terrain a été acquis après le 7 juillet 2016, la totalité des biens archéologiques sont présumés appartenir à l’État (Code du Patrimoine, article L541-4).
Principaux faits marquants
La Douane est la seule administration à exercer un rôle multiple, stratégique, sur ce marché. D’un côté elle vérifie les autorisations d’exportation et d’importation auxquels sont soumis les biens culturels, et donc garde un regard permanent sur ce flux, en étroite collaboration avec le ministère de la Culture. De l’autre, elle effectue des contrôles à la circulation qui lui permettent de vérifier la situation légale des objets qu’elle voit. Enfin, au travers de la DNRED, elle possède deux cellules, de renseignement à la DRD et d’enquête à la DED, qui lui permettent de lutter contre les grands trafics internationaux et nationaux. Le nombre de monnaies anciennes saisies par la Douane française ces dernières années est très important. En voici quelques exemples :
Octobre 2021
La DNRED saisit 4 226 biens culturels en lien avec la DRAC Occitanie Dans le cadre de la coopération avec les services du ministère de la Culture, les enquêteurs de la DNRED se sont intéressés à l’activité d’un individu, actif sur la plateforme de vidéos en ligne YouTube et suspecté de se livrer à des activités de pillage archéologique. Les enquêteurs constatent alors une détention irrégulière de marchandises soumises à justificatifs. Le dénombrement et l’estimation des biens culturels réalisés par les services de la DRAC Occitanie associés à l’opération a permis de saisir 4 226 biens culturels, dont des monnaies en bronze, en cuivre et en argent de diverses époques et un « doble excellente » espagnol en or, datant de la fin du XVIe siècle
18 janvier 2020
1300 biens archéologiques découverts par les douaniers de Carpentras chez un collectionneur Un collectionneur de monnaies et d’objets antiques est condamné à plus de 200 000 euros d’amende par le tribunal de Carpentras, suite à l’interception par les douaniers à son domicile de près de 1 300 biens archéologiques des époques protohistorique, antique ou médiévale, issus du pillage de sites terrestres et marins.
20 août 2020
Saisie de 27 400 pièces archéologiques par les enquêteurs de la DNRED, sur information de la DRAC Grand-Est. L’alerte provenait de la découverte suspecte d’un trésor composé de 14.154 monnaies antiques par un Français sur son terrain situé dans la Flandre belge, qui se révélera être une mise en scène. Les enquêteurs de la DNRED suspectent l’individu de se livrer à des activités de pillage archéologique. Lors d’une visite domiciliaire au domicile du collectionneur les enquêteurs découvrent 13.246 objets archéologiques, bracelets et torques datant de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer, un dodécaèdre romain (dont il n’existe qu’une centaine d’exemplaires connus et dont l’utilisation demeure une énigme archéologique) mais également des fibules romaines, des boucles de ceintures mérovingiennes, médiévales et de la Renaissance, des éléments de statues, des monnaies romaines et gauloises pillées sur des sites archéologiques connus et inconnus de la région.
28 novembre 2017 et 4 mars 2018
Saisie de 1 000 objets antiques par les douaniers de Strasbourg.
La première saisie a été réalisée le 28 novembre 2017 et porte sur 634 objets antiques et archéologiques d’une valeur estimée à plus de 52 000 euros. Soupçonnant un individu de se livrer au commerce en ligne d’objets issus de fouilles illégales, les agents de la brigade des douanes de Strasbourg-Entzheim ont effectué une visite à son domicile. Des statuettes de Mercure, des monnaies gauloises, romaines et gallo-romaines en bronze, en argent et en or ont été découvertes, ainsi qu’une collection de fibules, de silex, de céramiques et de cols d’amphores. La seconde affaire, réalisée le dimanche 4 mars 2018, a débuté par la découverte, dans le véhicule d’un individu, d’un couteau, d’un poignard et d’une baïonnette. L’homme, placé en retenue douanière, a indiqué revenir d’une bourse aux armes dans le nord du département. Une visite à son domicile, réalisée après information du Procureur, n’a pas permis de découvrir d’autres armes, mais 528 pièces de monnaies anciennes et fibules détenues illégalement d’une valeur estimée à 120 000 euros.
2010 : le « Trésor de Lava »
À la suite de la détection par les services du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) du ministère de la culture, d’une opération de cession d’une pièce romaine en or, un multiple de Claude II le Gothique d’environ 40 grammes, identifiée comme provenant du « Trésor de Lava », une information judiciaire a été ouverte par le pôle financier du parquet de Marseille. Considéré par les numismates comme l’un des trésors monétaires les plus importants au monde, le « Trésor de Lava » avait fait l’objet en 1985 et 1986 d’une enquête judiciaire qui avait défrayé la chronique.
De nombreuses pièces romaines en or du IIIe siècle après J-C avaient à l’époque été saisies. Néanmoins, une partie du Trésor, dont un rarissime plat en or, considéré comme l’une de ses pièces maîtresses, n’avait pu être retrouvée et était susceptible d’être écoulée sur des marchés clandestins. Le juge en charge du dossier a saisi de l’enquête le SEJF, l’office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) de la direction centrale de la police judiciaire et le groupe d’intervention régional (GIR) de la direction régionale de la police judiciaire d’Ajaccio. À l’issue de longues investigations effectuées par ces services spécialisés mutualisant leurs moyens, des circuits nationaux et internationaux illicites de revente ont été identifiés, des saisies effectuées et des interpellations réalisées. La valeur globale des pièces saisies, dont le plat recherché depuis 25 ans, est d’ores et déjà estimée entre 1 et 2 millions d’euros.
La « Jeanne-Elisabeth »
Un autre trésor a fait l’objet d’une actualité judiciaire, celui de la Jeanne-Elisabeth, navire qui, pris dans une tempête, sombra le 14 novembre 1755 au large de Maguelone (Hérault), alors qu’elle joignait Marseille depuis Cadix. Le navire transportait essentiellement 200 tonneaux de blé et 24 000 « piastres », de grosses pièces d’argent espagnoles. Fin de l’histoire ? Non, début des années 2000, une équipe de plongeurs qui a retrouvé l’épave, la soumettent à un pillage en règle… et sont arrêtés par le SNDJ. Ils seront lourdement condamnés. Une toute petite partie des pièces dérobées ont été retrouvées et, depuis lors, des fouilles officielles ont été effectuées révélant un ensemble de 3 905 monnaies qui furent principalement frappées dans les ateliers américains de Lima, Mexico et Potosi au cours de la première moitié du XVIIIe siècle. Et ce trésor fait aujourd’hui l’objet d’une publication sous la plume de Jérome Jambu (du Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale) dans « Trésors monétaires XXVIII (BnF, 2019) ». Il est présenté au « musée de l’Ephèbe » à Agde.