© Pierre Delacour pour Monnaie Magazine
Si par de nombreux aspects, le rapport de l’art avec l’argent peut sembler évident (on parle d’ailleurs de « marché de l’art »), la représentation de la Monnaie dans l’art peut être beaucoup moins évidente. L’idée vise plutôt à étudier la manière dont l’argent peut être représenté dans l’Art. A priori, la piste paraît étroite car peu d’œuvres d’art semblent avoir un rapport évident avec l’argent. Puis, à force de chercher, on constate que, pour l’essentiel, c’est dans la peinture que l’argent, sous toutes ses formes, est le plus présent. Et quand on parle d’argent, c’est essentiellement de la monnaie métallique dont il est question. En fait, la monnaie est très rarement reproduite pour elle-même dans l’Art, et elle peut apparaître tout à fait discrètement dans le détail d’un tableau. Elle y est « en représentation ». C’est-à-dire que sa présence, plus ou moins abondante, n’est jamais anodine et presque toujours symbolique. Nous avons choisi trois pistes majeures en la matière : l’économie, le jeu et la religion.
L’ÉCONOMIE
L’argent apparaît, bien entendu, dans tout ce qui peut avoir un lien avec le commerce. Que ce lien soit considéré comme positif ou négatif.
« Jésus chassant les marchands du Temple » est un sujet très abondamment traité dans lequel, souvent, on voit les pièces éparpillées, roulant des tables. Autre thème souvent abordé, celui du « denier de César » qui correspond à une tentative de rébellion contre l’impôt prélevé par les romains : « Rendez à César ce qui est à César ».

Autre sujet qui présente presque toujours des monnaies : la conversion de Saint Matthieu, un percepteur des impôts ou des douanes (dont il est d’ailleurs le saint patron). « Jésus partit de là et vit, en passant, un homme, du nom de Matthieu, assis à son bureau de collecteur d’impôts. Il lui dit : « Suis-moi. » L’homme se leva et le suivit. » L’une des plus célèbres interprétation, due au Caravage (conservée en l’église de Saint-Louis-des-Français à Rome), montre, à gauche, cette table sur laquelle se trouvent plusieurs pièces que deux personnages regardent avec insistance. La version due à Jan van Hermessen (1536, Pinacothèque de Münich) offre un riche assortiment de monnaies d’or et d’argent, de tailles et de types divers, étalées au centre du tableau, au milieu de la table.

Caravage
Autre élément très connu de cette iconographie picturale : les « changeurs ». Le plus célèbre est probablement celui de Quentin Metsys, conservé au Louvre. On le nomme également parfois « le prêteur et sa femme » ou « le peseur d’or ». Il figure une scène de la vie quotidienne dans un milieu réaliste, à savoir une scène de change dans un bureau d’un changeur d’une ville commerçante de la Flandre de la Renaissance. Devant lui se trouvent de nombreuses pièces de pays et d’époques divers que l’on peut identifier, grâce à la perfection réaliste du rendu par le peintre : écu d’or français, augustale de Frédéric II Empereur du Saint-Empire romain germanique au XIIIe siècle, trifollaro de Sicile, penny anglais… L’homme tient le trébuchet (petite balance) dans sa main gauche pour peser lesdites monnaies et, devant lui, figure une « pile à godet » ouverte, ensemble de poids en laiton formatés destinés à l’aider dans sa pesée. Car, ne l’oublions pas, la valeur des monnaies de cette époque ne tient qu’au poids et au titre du métal précieux qu’elles comportent. On peut également retrouver des allégories similaires dans les représentations de Saint Eloi, patron des orfèvres et des changeurs.

Quentin Metsys
LE JEU
Pour des raisons évidentes, la présence de pièces de monnaie dans tout ce qui peut avoir trait au jeu est purement factuelle et ne porte aucun message particulier. C’est d’ailleurs très amusant car, la plupart du temps, les pièces de monnaie apparaissent sur des œuvres relatives aux tricheurs. C’est le cas du « Tricheur à l’as de carreau », de Georges de la Tour (1636-1638 – musée de Louvre), du « Tricheur » de Valentin de Boulogne (1615-1618 – musée de Dresde)… Mais pas que. Le peintre néerlandais Theodore Rombouts a peint plusieurs scènes de joueurs et joueuses de cartes montrant, devant chaque participant, une importante pile de monnaies (Anvers, Musée royal des Beaux-Arts, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage et Copenhague, Statens Museum for Kunst).

Georges de La Tour

David Bailly
LA RELIGION
Dans ce cadre, la représentation de l’argent porte surtout une dénonciation de son côté immoral. La peinture y est foisonnante dans ses objets : l’usure, l’avarice, la vénalité, le pillage… Pour l’essentiel, cet art vise à la dénonciation de l’immoralité de la richesse qui corrompt. On le retrouve dans les représentations des « 30 deniers de Juda », dans « la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare » ou dans le personnage mythologue de « Suzanne et les vieillards » qui la harcèlent en lui tendant une bourse de monnaie. Un des exemples les plus courants est celui des « vanités ». En peinture, la vanité est un genre pictural présentant une nature morte qui évoque différents éléments symbolisant la vie, la nature, l’activité et surtout la mort. Ces tableaux, dans lequel un crâne est le plus souvent présent, ont pour but de faire réfléchir le spectateur sur la futilité des plaisirs du monde face à la mort qui nous attend tous. Et parmi ces « plaisirs de la vie » figurent en bonne place le pouvoir ou la richesse, symbolisés, entre autres, par l’argent.
D’ailleurs, revenons sur « le changeur » de Quentin Metsys. On peut y voir, en deuxième lecture, une allégorie de la vanité et de l’avarice. Une bougie éteinte symbolise la mort ; la présence d’un second trébuchet rappelle le jugement dernier et la pesée des âmes ; le livre d’heures ouvert devant la femme renvoie à un passage du jugement dernier…

Quentin Metsys
Mais on peut également trouver des représentations de la monnaie dans des scènes beaucoup plus positives. Et en particulier dans toutes celles ayant trait à la charité. Cette situation apparaît sur de nombreuses représentations où figurent généralement des saints ou parfois, mais assez rarement tout de même, des grands personnages. C’est le cas du « Saint faisant la charité » (anonyme, 1520, Musée de Montluçon) ou de « Saint Jean faisant l’aumône » du Titien (1488-1576, Venise), « Saint Laurent distribuant les trésors de l’Église » de Fra Angélico (1448-1450, musée du Vatican) ou de « Saint Antonin venant en aide aux pauvres » de Lorenzo Lotto (1541-1542 – Venise). La représentation de « Saint Louis faisant l’aumône », de Jacques Stella (1640, cathédrale de Bazas) fait plutôt figure d’exception.
Autre représentation religieuse dans laquelle on pouvait s’attendre à trouver des figures monétaires : l’adoration des Rois mages, ils apportent l’encens, la myrrhe… et l’or. De ce fait, elles comportent fréquemment des monnaies, le plus souvent disposées dans un coffre ouvert.

Abraham Bloemaert
ET LES MÉDAILLES ?
Elles sont aussi très présentes dans de nombreuses œuvres, en particulier lorsqu’il s’agit de représenter des collectionneurs. Mais les deux tableaux les plus connus sont ceux nommés, à juste titre, « l’homme à la médaille « . Tous deux, de la Renaissance, ont des caractéristiques communes : ils représentent chacun un homme en buste, de face, tenant une médaille à la main. Ils portent un bonnet, ont une chevelure très fournie, et un vêtement sombre fermé par un lacet. Si les personnages représentés sont inconnus, il n’en est pas de même des peintres puisque l’un est attribué à Boticelli (1474 – musée des Offices, Florence) et l’autre à Hans Memmling (1470 – Koninklijk Museum voor Schone Kunste, Anvers).

Sandro Botticelli
Outre les fonds, qui présentent des paysages différents, l’un tient des deux mains une médaille, et l’autre de la main gauche une monnaie. On peut parfaitement identifier l’une et l’autre car elles ont existé. La médaille a été coulée pour Cosme de Médicis (car on ne savait pas encore frapper des médailles de cette taille à la Renaissance) entre 1465 et 1469 et sa légende est parfaitement lisible : MAGNUS COSMVS MEDICES PPP. Il est d’ailleurs possible que cette médaille soit l’œuvre du frère de Boticelli, orfèvre, qui en réalisa plusieurs pour la famille Médicis. Sur le tableau de Memmling, il s’agit clairement d’une monnaie de bronze de l’empereur Néron.

Hans Memmling
En fait, le sujet est si vaste qu’un livre n’y suffirait pas. Car on peut également trouver des représentations de la monnaie dans l’art contemporain et même, parfois, les artistes ont détourné le support monétaire pour en faire de l’Art. On peut ainsi penser aux représentations colorées du Dollar vu par Andy Warholl ou au billet britannique détourné par Bansky en y remplaçant le buste de la Reine par celui de Lady Di. Bref, un sujet que l’on n’est pas prêt d’épuiser.