Bruno Collin – Dossier du mois
MAYOTTE 1841 – 2021
Il y a 20 ans, le 11 juillet 2001, les habitants de l’île de Mayotte votaient à 73% pour l’adoption de leur nouveau statut : celui de Collectivité Départementale d’Outre-Mer. Dix ans plus tard, le 31 mars 2011, elle accède au statut de 101e Département français. L’issue d’une longue évolution historique qui a connu de nombreux rebondissements.

Une histoire ancienne encore en devenir
Mayotte est une île de l’archipel volcanique des Comores, située dans le canal du Mozambique, c’est-à-dire au nord de l’océan Indien, à environ 500 km de Madagascar. Cet archipel comporte 4 grandes îles principales : la Grande Comores (où se trouve l’actuelle capitale, Moroni), Mohéli, Anjouan et Mayotte.
On sait peu de choses antérieures au VIIIe siècle sur ces îles. Néanmoins, leur position stratégique et quelques fouilles ou recherches historiques permettent de penser qu’elles étaient connues depuis les Phéniciens. Elles devaient faire l’objet de peuplements saisonniers, en particulier de pêcheurs de tortues, prisées pour leurs écailles.
Les premiers éléments précis font remonter l’histoire des Comores au VIIIe siècle. On sait que les populations qui y habitaient alors avaient deux principales origines : des Africains bantous et des Austronésiens, populations commerçantes venant d’Indonésie, dont on connaît aussi la présence à Madagascar ou sur la côte africaine, en pays Swahili. A partir du IXe siècle, les relations commerciales semblent s’organiser avec le Moyen-Orient musulman, favorisant l’implantation de cette religion

Une civilisation de plus en plus structurée
L’île de Mayotte a très vite été exploitée pour son minerai de fer. Des fouilles archéologiques sur le site de Dembeni, proche de la côte orientale de l’île, ont révélé un très important site médiéval qui laisse imaginer une très nombreuse population et une industrie métallurgique très développée. Au commerce du métal, s’ajoutait celui, très prisé, du cristal de roche. Le site a été très actif du IXe au XIIe siècle, période à partir de laquelle il décline au profit de Madagascar, les Comores redevenant de simples escales.
Du XIIIe au XVe siècle l’île est découpée en territoires placés sous l’autorité de chefs musulmans, les « fani ». Dominés par des élites islamisées, ils vivent essentiellement de l’agriculture et de l’élevage, mais aussi très largement du commerce des esclaves. Ces esclaves servent à la fois à la mise en valeur de l’île, et d’ « objet commercial » pour le commerce international. Ils viennent soit de Madagascar, soit des côtes africaines proches.
Un carrefour du commerce et des civilisations
Les Comores sont au croisement de plusieurs cultures : Malgache au sud, Swahilie à l’Ouest (dans cette zone nommée Zanguebar), mais aussi du Moyen Orient. Au XVe siècle, s’établissent aux Comores des sultanats d’origine Perse (shirazi), qui vont imposer un islam sunnite encore présent aujourd’hui. C’est également le moment où, suite à la chute de Constantinople (1453), les routes commerciales vers l’Inde et la Chine se modifient, privilégiant le contournement de l’Afrique. Anjouan devient alors un important point de relâche et les Portugais s’y installent rapidement (baptisant Mayotte « l’île du Saint-Esprit »).
Au XVIe siècle, navigateurs européens et ottomans y résident régulièrement, et même français au début du XVIIe siècle, ce qui assure richesses et prospérités aux sultanats qui dirigent les îles. Mais qui dit prospérité, dit aussi rivalité. Guerres, razzias, assassinats vont émailler cette histoire de la seconde moitié du XVIIIe siècle jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, le tout sur fond de rivalités entre les nations européennes, et en particulier entre Français et Britanniques qui se disputent Madagascar.
1841 : Mayotte devient Française
Lors de ces conflits incessants, Andriantsoly, Sultan de Mayotte (originaire de Madagascar), ne pouvant plus faire face aux razzias des pirates et aux tentatives d’annexion des autres sultans comoriens, se résout à vendre son île à la France. Le 25 avril 1841, c’est-à-dire il y a 180 ans cette année, il signe cette vente avec le Commandant Passot, capitaine du vaisseau La Prévoyante, moyennant une rente annuelle de 1.000 piastres (5.000 francs or). Mais ce n’est que le 13 juin 1843 qu’elle deviendra effective, après une enquête juridique que va faire réaliser Louis Philippe afin de valider cet acte. L’esclavage (la moitié de la population) y est aboli dès 1846.
Sous le Second Empire, Mayotte se transforme en sociétés de plantations, recourant à une main d’œuvre immigrée, les « travailleurs engagés ». De 1886 à 1892, la France établit un protectorat sur les trois autres îles des Comores, l’archipel est alors placé sous l’autorité du Gouverneur de Mayotte. Après un rapide développement de la culture de la canne à sucre, l’agriculture se diversifie vers la cannelle, le poivre, le girofle, mais aussi l’ylang-ylang, plante à parfum très recherchée. Le 25 juillet 1912, l’ensemble comorien, dont Mayotte, « en raison de sa petite taille (125.00 habitants) » devient une province de la colonie de « Madagascar et Dépendances ». Le fait de se retrouver dans un espace colonial très vaste ne va pas jouer en faveur des Comores qui sont peu à peu délaissées.
Emancipation ou fidélité à la France ?
En 1946, l’archipel des Comores devient un Territoire d’Outre-Mer, ce qui lui confère une autonomie administrative, avec pour chef-lieu la ville de Dzaoudzi. Si ce statut est confirmé par le référendum de 1958, un mouvement indépendantiste se dessine, dans la mouvance de celui qui anime nombre d’anciennes colonies africaines.
En 1974, une nouvelle consultation a lieu qui va diviser l’archipel. La population de trois îles votent massivement pour leur indépendance, alors que Mayotte vote à 64 % son maintien dans la communauté française. Le 6 juillet 1975 est créé unilatéralement un état comorien islamique indépendant (aujourd’hui nommé Union des Comores) qui, dès lors, ne va cesser de revendiquer le rattachement forcé de Mayotte. Immédiatement la France en retire tous ses agents et fonctionnaires. S’ensuit une longue instabilité politique (avec des gouvernements proches de la dictature) dont, en 1997, une sécession des îles de Mohéli et Anjouan qui demandent leur rattachement à la France, ce qui leur est refusé.
Même résultat pour l’économie comorienne qui ne va, dès lors, cesser de s’enfoncer dans le marasme, ramenant les trois îles parmi les pays les plus pauvres du monde. Ce qui va créer un « appel d’air » d’immigration clandestine massive et permanente entre les autres îles et Mayotte.
Le 8 février 1976, un nouveau référendum est organisé à Mayotte qui confirme, à 90 % cette fois, le désir de rester rattaché à la France et transforme l’île en « collectivité territoriale » française. Le 11 juillet 2001, elle devient « collectivité départementale d’outre-mer » et le 31 mars 2011, 101e Département français.
Et la monnaie ?
Nous ne connaissons pas précisément le type de monnaies qui circulèrent dans les Comores jusqu’à la fin du XIXe siècle, mais on peut imaginer qu’il s’agissait soit de Cauris (coquillages-monnaie), soit de monnaies émises et circulantes dans les pays voisins, voire apportées et utilisées par les marins et négociants qui y séjournaient : Espagnols, Portugais, Britanniques, Indiens… On pense également que le célèbre Thaler de Marie Thérèse d’Autriche, très en vogue dans la corne de l’Afrique, y circula aussi.
Ce dont on est certains c’est que, en 1890, la Monnaie de Paris frappe une série de trois pièces spécifiques, au nom du sultan Said Ali. Ces pièces, de 5 francs (en argent), 10 et 5 centimes (en bronze), ont toutes les caractéristiques du monnayage français. Si la première n’est frappée qu’au millésime 1890 (2.050 exemplaires), les deux dernières le seront en 1890 et en 1901. Leur tirage fut, pour la 10 centimes de 50.200 en 1890 et 100.000 en 1901 et, pour la 5 centimes, de 100.200 en 1890 et 200.000 en 1901.
La pièce de 5 francs montre, à l’avers, en écriture arabe, la légende « Said Ali fils de Said Omar sultan d’Andjezidja que dieu le très haut le garde ». Le centre est occupé par un semis d’armes de toutes sortes : poignard, arc, canon, revolver… et les mentions SANA (année) 1308 (1890). Ce qui semble être un désordre ne l’est en fait pas, car la disposition de ces armes reproduit, en réalité, le monogramme du sultan.
La légende du revers, toujours en arabe, indique « Protectorat du gouvernement français le glorieux/ Dynastie d’Andjezidja que dieu la garde ». De part et d’autre, une palme et une branche de laurier et, au centre, les drapeaux français et comorien entrecroisés. Les deux pièces de bronze sont totalement épigraphes. Elles portent, à l’avers, les légendes « Protectorat du gouvernement français le glorieux/ Sultan d’Andjezidja Said Ali fils de Said Omar » et au revers la valeur faciale et « Dynastie d’Andjezidja que dieu la garde, année 1308 ».
La seconde émission attestée est d’ordre privé. Il s’agit de monnaies de nécessité émises en 1915 puis en 1922 par la « Société de la Grande Comore ». On en connaît 4 coupures, 25 et 50 centimes (ronds), un franc (octogonal) et deux francs (carré à coins arrondis). Elles portent à l’avers, dans un grénetis, SOCETE ANONYME DE LA GRANDE COMORE et, au revers BON DE (valeur faciale) REMBOURSABLE. Toutes sont non datées et frappées en aluminium en 1915, ou en laiton (pour les 25 centimes et 1 franc seulement) en 1922. La Société Anonyme de la Grande Comore a été fondée par le botaniste et naturaliste Léon Humblot (1852-1914) qui a signé un traité avec le sultan Said Ali bin Said Omar qui lui accorde, de fait, la mainmise sur l’économie de l’île.
La loi n° 62-773 du 31 juillet 1962 autorise la frappe de pièces de 1, 2, 5, 10 et 20 francs CFA destinées à l’archipel des Comores. Elles reprennent, à l’avers, le type dû à Lucien Bazor (buste de Marianne à gauche portant un bonnet phrygien avec aile et cocarde avec, en fond, des navires), de monnaies frappées en 1948 pour Madagascar et qui circulaient également dans les îles. Ces pièces ont été démonétisées à compter du 31 décembre 1965. Seule la mention UNION FRANCAISE, en fin de légende, en est retirée.
Notez que ce type de monnaies fut utilisé en même temps pour Madagascar, la « Côte Française des Somalis » et le « territoire Français des Affars et des Issas », Saint-Pierre-et-Miquelon et donc les Comores. Les coupures de 1, 2 et 5 francs sont en aluminium, 10 et 20 francs en cupro-alu-nickel. Leurs tirages sont les suivants : 20 francs : 500.000, 10 francs : 600.000, 5 francs : 1.000.000, 2 francs : 600.000 et 1 franc : 500.000.

Mayotte et l’Euro
En 2004 on vit apparaître trois monnaies libellées en Euro au nom de Mayotte. Une pièce d’1/4 d’euro et une autre de 1,5 euro en argent et une 20 euros en or. Mais il ne s’agissait, en fait, que de frappes privées destinées aux collectionneurs non avertis.
Mais ce n’est que, devenue Département Français, que Mayotte accède, tout naturellement, à la série des « Euros des régions ». Détail amusant, une 10 euros « Mayotte » est frappée pour la série « Blasons des régions », sortie en 2010. Mais, si elle a un graphisme similaire, elle est au millésime 2011. Du coup, une seconde série « Monuments et patrimoine des régions » voyant le jour en 2011, une seconde pièce « Mayotte » est émise pour ce millésime.
En 2012, la 10 euro « Grands personnages de l’histoire de France » porte, pour Mayotte, le portrait de Zéna M’Déré, une des cheffes de file du mouvement des femmes mahoraises pour le rattachement à la France. Mais elle va peu à peu disparaître. En 2017, dans la série « La France vue par Jean Paul Gaultier », elle est regroupée sur la pièce « outre-mer », et son nom apparaît juste sur une des cinq feuilles d’un arbre du voyageur. Et, en 2018, elle a disparu de la série « Mickey et la France ».

Et les billets ?
A partir de 1946, la Banque de Madagascar, créée en 1925 (et qui a son siège 88 rue Courcelles à Paris), devient Banque de Madagascar et des Comores, et va mettre en circulation des billets créés et imprimés par la Banque de France. Lors de l’indépendance Malgache en 1962, la banque conserve, par convention du 1er avril 1962, « d’exercer le service de l’émission sur le territoire des Comores ». A ce titre, un administrateur représentera ce territoire au conseil d’administration de la Banque dont la nomination du directeur sera soumise à l’agrément du gouvernement français. Cette situation cesse en 1973. Un Institut d’Emission des Comores, agence de la Banque de France, est créé le 31 décembre 1974 qui, en 1980, devient Banque Centrale des Comores. De son côté, la Banque de Madagascar disparaît par fusion en 1977 avec la Banque immobilière de Crédit SOFICAM.
Cette banque a mis en circulation des coupures de 50, 100, 500, 1000 et 5000 francs. L’Institut d’Emission émettra des billets de 500, 1000 et 5000 francs.
De très rares médailles
Nos recherches relatives à des médailles sur Mayotte sont restées un peu vaines. Nous n’en avons trouvé que deux. L’une a été frappée en 1991 à l’occasion du 150e anniversaire du rattachement de Mayotte à la France. Elle porte à l’avers le portrait de 3/4 face de Zéna M’Déré, avec la légende MAYOTTE FRANCAISE – REPUBLIQUE FRANCAISE ; et au revers, les armoiries de l’île, entre deux hippocampes, et la légende COMMEMORATION DU 150e ANNIVERSAIRE DU RATTACHEMENT VOLONTAIRE DE MAYOTTE A LA FRANCE – 1841 – 1991.
La seconde est celle du détachement de la Légion Etrangère basée à Mayotte.
