Le régime cubain doit affronter une nouvelle crise monétaire depuis que le gouvernement a décidé de supprimer le système monétaire avec deux monnaies légales pour ne plus en conserver qu’une seule à partir du 1er janvier 2021. Depuis lors, le cours officiel du peso cubain est devenu intenable face à la réalité du marché noir et le gouvernement qui peine à s’approvisionner en nourriture et en carburant est obligé d’imposer des coupures d’électricité et de rationner certains produits du quotidien. C’est sans doute la pire crise traversée par Cuba depuis la chute de l’URSS et de ses alliés.
La chute du bloc communiste
Au début des années 90, cette chute avait provoqué une première grave crise économique et monétaire à Cuba avec la disparition de près de 80 % de ses échanges commerciaux avec l’extérieur. Des milliers de migrants poussés par la pauvreté fuyaient le pays vers les États-Unis. Le gouvernement s’était vu contraint d’accepter la circulation du dollar et la création de quelques entreprises commerciales et touristiques privées pour relancer l’économie à partir de 1993. L’année suivante, la création du “peso convertible” donnait naissance à un original système avec deux monnaies officielles, l’une destinée aux touristes et aux échanges avec l’extérieur, le peso convertible, et l’autre réservée aux habitants de l’île pour toucher leurs salaires, leurs pensions et régler leurs dépenses du quotidien, le peso national. Ces décisions vont permettre à Cuba de relancer ses exportations et de retrouver une meilleure santé économique grâce à l’épanouissement du tourisme. Au début des années 2000, la solidarité commerciale entre États socialistes américains, notamment avec le Venezuela, riche en ressources énergétiques, mais aussi avec le Brésil ou la Bolivie, permet à Cuba de redresser sa monnaie nationale et d’interdire à nouveau la circulation du dollar à partir de novembre 2004. Les deux monnaies sont cependant conservées avec un peso convertible dont le taux de change officiel est fixé à 24 pesos pour 1 dollar depuis 2002.

L’abolition du système monétaire actuel
En octobre 2013, le gouvernement annonce son intention d’abolir ce système pour rétablir la souveraineté du seul peso national. À cette fin, des billets de plus grande valeur, de 200, 500 et 1000 pesos, ont été introduits pour faciliter l’usage pour les touristes qui retirent en moyenne 80 000 pesos, soit un peu plus de 600 euros, pour couvrir leurs dépenses pendant leur séjour sur l’île. C’était sans compter avec la pandémie qui va totalement stopper le flux de touristes et donc assécher les réserves de devises du pays dès la fin de l’année 2020. C’est pourtant le 10 décembre de cette même année que les autorités informent la fin prochaine du peso convertible, fixée au 1er janvier 2021. Les particuliers et les entreprises ont alors à peine un an pour convertir tous les pesos convertibles en pesos nationaux avec le fameux taux de change officiel de 24 pour 1 au détriment des porteurs qui pouvaient autrefois les échanger sur le marché noir avec un taux de 100 pour 1, le dollar qui sert de référence pour le peso convertible des touristes valant alors 100 pesos en décembre 2021. Cette dévaluation du peso s’accompagne d’une inflation qui atteint les 40 % en 2022. Cette décision malheureuse vient donc s’ajouter à la crise économique directement liée à la pandémie et appauvrie bon nombre d’entreprises et de particuliers dont les revenus dépendaient du tourisme et des exportations. Seules les entreprises d’État s’en tirent mieux avec un taux de change subventionné de 1 peso pour 1 dollar au moment de leurs achats à l’étranger. En août 2022, les autorités ont tenté de réagir en autorisant à nouveau la circulation de quelques espèces en dollars, à condition qu’ils soient aussitôt échangés contre des pesos cubains, avec un taux officiel de 1 pour 120, mais aussi avec une commission exorbitante de 8 %.

L’intérêt est alors de concurrencer le marché parallèle qui pratique déjà de tels taux. L’ancien taux de change officiel de 1 pour 24, jusqu’à lors maintenu de façon complètement artificielle, est donc de fait abandonné ! Cette mesure a notamment permis à l’État de remettre la main sur le flux de devises étrangères qui lui échappait au profit du marché noir et des petits échangeurs de rue. Une autre mesure révolutionnaire, celle autorisant les investisseurs privés, notamment étrangers, à posséder 100 % d’une entreprise commerciale sans obligation de participation de l’État, doit encourager les investisseurs étrangers à miser sur la reprise de l’activité touristique dans l’île et donc à faire revenir des devises étrangères dans les caisses de l’État cubain. Malheureusement, ces mesures ne répondent pas aux besoins du peuple qui peine à s’approvisionner en espèces et voit les prix à la consommation s’envoler.
Des virements et des transferts d’argent compliqués
Très contrôlés et limités par les autorités, ces derniers obligent les particuliers qui doivent financer un achat plus important ou des soins hospitaliers, à se tourner vers les liasses de billets qu’ils ont bien du mal à se procurer, particulièrement à cause d’une incroyable vague de pannes de distributeurs automatiques. En effet, ces derniers ont été construits à l’étranger et importés pour faciliter la vie de touristes, les Cubains recevant directement leurs salaires en espèces. Or, avec le retour des embargos exigés par l’administration Trump, les pièces détachées ne peuvent plus être importées et les mécaniciens cubains peinent à bricoler de réparations de fortune sur les quelques centaines de distributeurs répartis dans le pays. Les autorités reconnaissent que près de 30 % des guichets sont hors service, mais assurent que des techniciens travaillent tous les jours pour les réparer et qu’il n’y a pour l’instant pas de pénurie de liquidité ! Les salaires continuent d’être versés, car les administrations et les entreprises publiques disposent de leurs propres moyens d’approvisionnement en espèces, assurés et sécurisés par l’État, mais pour les citoyens, c’est plus compliqué et les queues s’allongent devant les rares distributeurs qui fonctionnement ou devant les guichets des succursales agréées dans chaque municipalité pour mettre des espèces à disposition des habitants qui devront les avoir commandés au préalable !

Un pari très risqué
Ce sont près de 160 millions de pesos qui sortaient quotidiennement des distributeurs automatiques et ils étaient la principale source d’approvisionnement des touristes. Ces derniers pourraient très vite s’irriter et rechigner à venir visiter le pays ou alors, ils pourraient à nouveau se tourner vers le marché clandestin au détriment de l’État cubain. Sans doute en prévision de cette crise, la Banque Centrale de Cuba a annoncé le 10 avril 2023 que dorénavant : “les institutions financières et bancaires accepteront les dépôts en espèces de dollars américains sur des comptes bancaires”.
Eduardo Gurgel