Alors que la France à mis à l’honneur Jacques Chirac sur une monnaie, la très sage Monnaie de Suisse a quelque peu surpris les milieux numismatiques lors du World Money Fair de Berlin, début février 2020, en annonçant la frappe de deux monnaies, en argent et en or, consacrées à une personnalité vivante, le tennisman Roger Federer. L’originalité de ces monnaies est soulignée dans l’éditorial que le directeur de la Monnaie suisse, Marius G. Haldimann, a rédigé pour le magazine « Pile ou face » dans son édition de janvier 2020 : « par son génie sportif, Roger Federer ne cesse d’époustoufler son public sur les courts de tennis du monde entier.
Ce collectionneur de records, qui est probablement le meilleur sportif individuel suisse, est aussi un ambassadeur rêvé pour son pays. Pour bon nombre d’habitants de la planète, Roger Federer est tout simplement le symbole de la Suisse. Swissmint a le grand plaisir de lui dédier les premières monnaies commémoratives honorant une personnalité vivante ». Et c’est bien là que réside l’originalité de cette émission qui pose la question suivante : peut on aujourd’hui frapper une monnaie à l’effigie d’une personnalité vivante ?
LE CAS DE LA FRANCE
Il y a bien longtemps que l’on a abandonné cette pratique. On pourrait considérer que les dernières monnaies circulantes à l’effigie d’une personne vivantes furent celles de Napoléon III. Mais celle-ci s’inscrit surtout dans une tradition monarchique. Par la suite, les Républiques successives, rangèrent ce type d’effigie monétaire dans le secteur (très prolifique) de la médaille.
Et pourtant… L’Etat Français lança un vaste concours monétaire afin de frapper des monnaies métalliques à l’effigie du maréchal Pétain. Plus de 100 projets furent soumis, mais qui ne virent le jour que, au mieux, sous forme d’essais, le plus souvent en aluminium. Seul survécu, pour être frappé et entrer en circulation, un projet du graveur général des monnaies à la Monnaie de Paris, Lucien Bazor. Elle porte un profil, tête nue, à gauche, du maréchal Pétain et la légende « Philippe Pétain – Maréchal de France – Chef de l’état ». Le revers porte deux haches, placées de part et d’autre d’un bâton de maréchal et liées à ce dernier (variation de la hache et du faisceau de licteur de l’iconographie fasciste). La légende est la devise de l’Etat Français : « Travail – famille – patrie ».
Cette monnaie, qui finalement ne circulera jamais en dépit d’une frappe de 14 millions d’exemplaires pour un programme initial de 200 millions, est, par son esthétique et sa symbolique, très proche de celles gravées par Motti en Italie pour les pièces de 20 et 100 lires frappées en 1923 pour commémorer la « marche sur Rome ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard car Lucien Bazor reçoit en 1923 le premier grand prix de Rome de gravure en médailles et séjourna à la villa Médicis au moment de la prise du pouvoir par Mussolini.
Ce sera, jusqu’à aujourd’hui, la dernière tentative de ce genre. Et les seules personnalités qui y figurent depuis sont toutes décédées, même récemment (comme pour la pièce de 2 € Simone Veil). Notez tout de même que, pour la France, la personnalité contemporaine la plus représentée est sans conteste le Général de Gaulle.
DICTATURE…
Aujourd’hui, le plus souvent, on peut considérer que la présence de l’effigie d’une personne vivante sur les monnaies relève surtout de la propagande, du culte de la personnalité, imposé par des régimes autoritaires, voire des dictatures. La monnaie est alors utilisée comme un vecteur de communication de masse d’un régime. Prenons quelques exemples. En République Centrafricaine, qui devient un temps Empire Centrafricain, l’effigie (glorifiée) du chef de l’état, Jean Bedel Bokassa trône à la fois sur les monnaies et les billets de banque. Même situation en Angola où José Eduardo dos Santos se fait représenter sur ses billets de banque, en Lybie à l’effigie de Kadhafi ou au Zaïre à celle de Mobutu. Ou même de François Duvallier, père des « tontons macoutes » à Haïti. Et encore en Corée du Nord, les émissions à la gloire du président restent assez rares. Il y a d’autres exemples mais, finalement, pas tant que cela. On ne trouve, par exemple, pas de signes monétaires « courants » (billets ou monnaies) à l’effigie d’Hitler, de Staline ou de Lénine de leur vivant. On notera que ces émissions correspondent surtout à des pays bénéficiant de moins de moyens de communication (ou de propagande) et dans lesquels donc, le vecteur monétaire reste un instrument important.
Dans les autres régimes autoritaires, la communication du pouvoir passe plutôt par l’utilisation (on pourrait même dire l’instrumentalisation) de représentations plus symboliques, personnages, monuments, évènements historiques… Les dictateurs auraient-ils finalement eu peur d’y figurer ?
… OU TRADITION MONARCHIQUE
Dans ce cas, l’effigie représente une autorité sacrée, souvent innée et d’inspiration divine. Même si on connaît quelques monnaies de satrapes orientaux, vers 410 avant J.-C., qui semblent porter des portraits de souverains vivants, c’est surtout avec Alexandre le Grand que cet usage monarchique va se répandre à grande échelle. Il se fait représenter sur ses monnaies sous les traits d’Héraclès puis sous ceux d’Ammon, dieu égyptien que les Grecs identifièrent à Zeus. A sa mort, ses généraux, les Diadoques, se partagèrent son empire et émirent des monnaies à leurs effigies. Cet usage se poursuivit sous l’Empire romain mais disparut très clairement de la fin de l’Empire jusqu’à la Renaissance. Cela ne tenait pas tant au fait que les souverains et autres seigneurs ne voulaient plus s’y faire représenter, mais surtout parce que les graveurs chargés de fabriquer les coins avaient complètement perdu l’art du portrait, les remplaçant par des effigies très stylisées. Qui plus est, la taille et l’épaisseur des pièces, très petites, n’offraient plus la surface ou le volume nécessaire à une expression plus réelle. La Renaissance marqua un triple changement. D’une part, le renouveau du portrait réaliste, en parti dû au développement de l’art de la médaille en Italie. Ensuite l’abondance retrouvée de métaux précieux qui permettait la frappe sur des plus grandes pièces. Enfin l’apparition et le développement de la frappe mécanique qui autorisait l’émission de monnaies plus grandes et de qualité régulière. La monnaie redevint un vecteur de communication important et, à chaque changement de souverain, l’effigie du nouveau apparut rapidement afin de le faire connaître de ses sujets. En France, à partir de Louis XIV, l’effigie royale évolua même au fur et à mesure du vieillissement du Roi. Et aujourd’hui, même si on ne s’en rend pas nécessairement compte, cet usage monarchique de l’effigie du souverain régnant, reste très vivace, y compris dans notre Union Européenne (Danemark), et même dans la zone Euro. Peut-être avez-vous dans votre poche des monnaies à l’effigie du Roi Albert II de Belgique, du Pape François pour le Vatican, de Philippe IV d’Espagne, ou du Grand Duc Henri de Luxembourg.
UNE EXCEPTION : LA REINE D’ANGLETERRE
Mais aujourd’hui, la personne vivante ayant l’effigie la plus reproduite au monde reste indubitablement la Reine d’Angleterre, dont la première apparition date de 1953. Et c’est essentiellement grâce aux émissions des pays du Commonwealth qui portent obligatoirement son portrait. Ce qui, au demeurant, limite la créativité des Hôtels des Monnaies qui ne peuvent, dès lors, disposer que d’une face pour renouveler leurs visuels.
Rien qu’en billets de banque, elle apparaît dans 22 pays (Royaume-Uni compris), parfois petits (Grenade, Belize, Gibraltar…) mais également plus importants (Canada, Nouvelle Zélande, Sri Lanka…). Et quand on sait que ce portrait apparaît également sur les « feuilles d’érable », une des monnaies de placement (bullion coin) les plus connues au monde, on imagine le nombre de fois où il a été reproduit.
Compte tenu de sa longévité, on connaît à ce jour 6 effigies officielles de la reine Elizabeth II. Elle y est toujours présentée de profil… mais avec des rides en plus. La sixième (et actuellement dernière) effigie en titre a été dévoilée en 2019 par la Monnaie australienne. En cette occasion, une série de monnaies reprenant les 6 effigies a été émise par la Royal Australian Mint.
En résumé, il n’y a aucune règle écrite interdisant de faire figurer une effigie d’une personne vivante sur une monnaie (ou un billet). C’est plutôt un usage communément admis qui prévaut dans les Républiques.
Et puis souvenez-vous ! C’est dangereux de faire figurer sa tête sur une monnaie. N’est-ce pas ce qui a valu la sienne à Louis XVI ?
À TOUT SEIGNEUR TOUT HONNEUR !
Avec ses exploits sportifs défiant l’entendement, son engagement social, sa proximité avec ses fans, son aisance devant la presse et son naturel teinté de pragmatisme alors qu’il est une superstar mondiale, Roger Federer collectionne les honneurs, y compris en dehors de l’univers du tennis. À titre d’exemple, les villes de Bienne en Suisse et de Halle en Allemagne ont donné son nom à une allée, et les postes suisse et autrichienne ont émis un timbre à son effigie respectivement en 2007 et en 2010.
La Suisse émet donc une pièce de 20 francs en argent (835 millièmes, 20 g, 33 mm). En dépit de l’établissement d’une limite d’achats, la première émission a été immédiatement épuisée. Un second tirage est annoncé ainsi que la frappe d’une monnaie d’or d’une valeur faciale de 50 francs dont l’effigie n’a pas été révélée au salon de Berlin.
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par Bruno Collin pour Monnaie Magazine ©