MONNAIES ROYALES 31 mars 1640 : la création du louis d’or
par Gildas SALAÜN, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes.
Le 31 mars 1640 est assurément l’une des dates les plus importantes de l’histoire monétaire française, puisqu’elle marque la création du louis d’or par le Roi Louis XIII (1610-1643). Le nouveau système monétaire alors mis en place sera mainte fois modifié, mais il perdurera un siècle et demi durant. Aujourd’hui, sa simple évocation, fait encore briller les yeux.

Etymologie
L’origine du terme de louis d’or est extrêmement simple à comprendre. En effet, comme pour presque tous les types monétaires, cette pièce tire son nom du motif principal qu’elle figure, ici c’est bien sûr le portrait du Roi Louis. Littéralement, l’expression louis d’or désigne une monnaie d’or avec la tête du Roi Louis dessus… C’est d’ailleurs aussi pour cela que, malgré les ajustements successifs, le nom du louis d’or s’adapte à tous les types et traverse les règnes de Louis XIV (1643-1715), Louis XV (1715-1774) et Louis XVI (1774-1792) jusqu’à la Révolution française.
Quelques décennies plus tard, c’est
dans la même logique que les nouvelles pièces d’or de 20 francs, figurant l’effigie de l’Empereur, vont prendre le nom de Napoléon…
Une fort belle pièce
Tout le monde s’accorde à le dire : le louis d’or de Louis XIII est une très
belle monnaie, très appréciée des collectionneurs. Celle-ci est l’œuvre de Jean Varin (1607-1672), ou Warin, artiste liégeois venu s’installer à Paris en 1626 où il devient Graveur Général des Monnaies, mais aussi Maître Garde et Conducteur de la Monnaie du Moulin. Rappelons-en la description :
A l’avers, il porte la légende LVD . XIII . D . G . FR . ET . NAV . REX (Louis par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre), qui entoure la tête laurée du Roi à droite portant perruque, moustache et barbiche selon la mode du temps. A noter que la perruque figure tantôt une mèche courte, tantôt une mèche longue, selon les variétés de coins. Au revers, la légende est en fait la devise royale . CHRS . REGN . VINC . IMP (le Christ règne, vainc et commande), entourant une croix formée de huit L, chaque bras étant couronné, avec la lettre d’atelier A ou D dans un cercle en cœur, cantonnée de quatre lis mouvant du centre.
Mais, outre une réussite esthétique indéniable, c’est aussi la qualité de la frappe qui est remarquable dans le louis d’or de Louis XIII. Le mérite en revient à nouveau à Jean Varin, car c’est lui qui convainc le Roi de généraliser l’utilisation du balancier dans la frappe des monnaies selon la déclaration du 24 septembre 1639. Aucun louis d’or n’a donc été maladroitement frappé à la main, ou au marteau, mais parfaitement estampillé avec des presses mécaniques et le matériel moderne de l’époque. C’est ce qui explique pourquoi on ne trouve que des pièces produites à Paris et Lyon, les deux principaux ateliers du royaume, seuls alors pourvus en matériel dernier cri… L’utilisation des balanciers permettait aussi l’emploi de la virole, autorisant le décor de la tranche. Ce procédé interdisait le rognage, c’est-à-dire la récupération frauduleuse d’une partie du métal précieux par limage de la tranche. La qualité et le poids des pièces étaient alors parfaitement garantis et il n’était plus nécessaire aux marchands et autres changeurs de les peser. Le louis d’or était donc dès sa création très pratique pour le commerce.
Le créateur oublié

Toutefois, si le talent artistique et technique de Varin est à souligner, il convient de rendre ici hommage à celui qui a conçu la réforme monétaire conduisant à la création du louis d’or, le Surintendant aux Finances dont l’histoire n’a pas retenu le nom, peut-être parce qu’il est décédé quelques mois seulement après : Claude de Bullion (1569-1640). Saint-Simon nous dit pourtant que « c’étoit au reste un habile ministre, estimé, considéré, et qui avait beaucoup d’amis. Lorsqu’il fit faire les premiers louis d’or, il pria cinq ou six hommes de ses amis à dîner […]. Au fruit, il fit servir cinq ou six bassins remplis de cette nouvelle monnoie, et leur dit d’en remplir leurs poches et leurs chausses, leurs chapeaux même s’ils vouloient, et que tout ce qu’ils pourroient en emporter eux-mêmes étoit à eux. Pas un de la compagnie ne se fit prier, et tous s’en fourrèrent tant qu’ils purent, s’en allèrent à grand’peine gagner leurs carrosses, et trouvèrent n’avoir jamais fait si bonne chère » .1
La réforme de Bullion avait notamment pour objectif d’éradiquer les trop nombreuses pièces étrangères, notamment espagnoles, présentes dans la circulation monétaire française. Pour cela, le titre de la nouvelle monnaie, le louis donc, devait être ramené à 22 carats, soit 91,7% d’or, au lieu des 95,8% de l’écu, afin de s’aligner sur les pistoles espagnoles. La refonte de celles-ci et leur transformation en louis bien français devenait ainsi des plus simples et économiques puisqu’aucune opération d’affinage ou d’alliage n’était nécessaire. Mais attention, à l’époque, la pièce appelée louis d’or, courant pour cinq livres tournois, est celle qui pèse 3,376 g, c’est-à-dire celle que nous appelons aujourd’hui, demi-louis ! En effet, la réforme de Bullion créait des louis, double louis et quadruples louis, rebaptisés quelques années après demi-louis, louis et double louis…
Revenons un instant sur ce point particulier : les pistoles espagnoles ont été directement transformées en demi-louis français. Et bien, c’est pour cela que dans le langage courant français, le mot pistole est désormais employé pour désigner les petites pièces d’or en général et les demi-louis en particulier. Cette appellation vernaculaire reste même employée au XIXe siècle, notamment sous le Second Empire, pour désigner la pièce d’or de dix francs, alors que celle de cinq francs est appelée demi-pistole.2
Des « pièces de plaisir »
Ce qui participe aussi à la légende des premiers louis d’or, c’est l’existence des grosses monnaies de quatre, huit et même dix louis d’or ! Exclusivement frappées
à Paris, ces monnaies sont les plus importantes jamais émises en France, avec des valeurs de 40, 80 et même 100 livres tournois, pour des poids de 27, 54 et 67,5 grammes d’or ! On les appelle des « pièces de plaisir », car elles ne servaient pas à la circulation courante, mais étaient réservées à la table de jeu du Roi… aux flambeurs assurément… D’où leur insigne rareté, car seuls quelques spécimens sont parvenus jusqu’à nous aujourd’hui.
Deux pièces de huit louis d’or représentaient alors un an de salaire d’un forgeron, trois le revenu annuel d’un charpentier… Mais que représentaient-elles pour le cardinal de Richelieu et ses trois millions de livres de rente annuelle… ?
Insistons bien : seules les pièces que nous appelons aujourd’hui demi-louis, louis et double louis étaient effectivement destinées à la circulation monétaire courante. Les « pièces de plaisir » n’avaient ainsi aucune réelle utilité économique. Pour autant, rien n’a été laissé au hasard dans leur fabrication car elles étaient destinées aux personnes les plus riches et puissantes du royaume : leur réalisation se devait d’être d’une exceptionnelle qualité. Des coins particuliers sont spécialement réalisés à des diamètres allant jusqu’à 48 mm ! Deux avers sont même gravés pour les pièces de dix louis d’or : l’un porte l’effigie « classique », alors que sur l’autre, le col du Roi arbore un superbe drapé à l’Antique. Pour ces raisons, certains préfèrent appeler ces monnaies des « pièces de prestige ».
Qu’elles soient de plaisir ou de prestige, ces monnaies sont exceptionnelles !

Une portée politique majeure
Outre des considérations strictement techniques ou économiques et matérielles, la création du louis d’or marque une rupture complète sur le plan de la « communication institutionnelle », comme on dirait aujourd’hui. En effet, dans la tradition médiévale, sur les écus d’or c’était un symbole, le blason aux trois lis, qui représentait l’État, la France. Or, sur le louis d’or c’est désormais l’image physique et réelle du Roi qui assure cette fonction. Si en 1655, Louis XIV pourra prononcer sa formule restée fameuse, « l’État, c’est moi », c’est bien parce que son père l’avait déjà clairement affirmé quinze ans plus tôt, notamment en apposant son portrait sur toutes les monnaies du royaume.
Oui, la création du louis d’or est à la fois le produit et l’outil de la monarchie absolue. L’image du Roi est imposée partout comme le symbole du pouvoir. Le royaume de France et la personne royale sont désormais confondus, le Roi incarne le pouvoir. C’est d’ailleurs pour cela que la création du louis d’or est complétée par l’ordonnance du 23 septembre 1641 qui introduit les nouvelles espèces d’argent : les beaux écus blancs de 60 sols aux premier et deuxième poinçons de Varin, et leurs divisions. Le « dispositif » est enfin parachevé avec la mise à jour des portraits sur les doubles tournois de cuivre, des portraits qui reprennent presque trait pour trait l’effigie figuré sur les louis d’or. L’image du Roi est ainsi maîtrisée, uniformisée, afin d’être immédiatement reconnue de tous. Et c’est également vrai pour la peinture, la sculpture, et toutes les autres formes d’art employées par l’État à des fins de propagande. La Monnaie est très utile pour diffuser l’image du souverain et les monarques absolus ont tôt su mettre à profit ce support efficace.
Tout ceci explique l’engouement des collectionneurs pour les louis d’or de Louis XIII. Compte tenu d’une production, somme toute conséquente, avec plusieurs millions d’exemplaires, elle apparaît clairement surcotée. Certains parlent volontiers d’une « cote d’amour » pour le louis d’or de Louis XIII, et cette explication se suffit à elle-même puisqu’en numismatique aussi « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas », comme le pensait Blaise Pascal (1623-1662)…
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