© Gildas Salaün pour Monnaie Magazine 2021

Depuis l’Antiquité, et jusqu’à la généralisation des presses mécaniques durant les années 1640, la frappe monétaire s’effectuait à la main, ou pour mieux dire au marteau. Cette technique évolua très peu durant près de deux millénaires. N’allez certainement pas considérer cette technique comme rudimentaire, car celles et ceux qui s’y sont essayés savent que la frappe au marteau nécessite de la force, mais aussi de la précision, de la dextérité et de l’endurance !
Principe général
Une fois les matrices monétaires (coins) gravées par le tailleur et le métal préparé par l’essayeur, vient l’étape finale, celle de la frappe proprement dite. Depuis l’Antiquité, celle-ci se fait à la main à grands coups de marteau ! La rondelle de métal lisse qui va être frappée pour obtenir une pièce de monnaie est appelée un flan. Le monnayeur, ouvrier spécialisé chargé de la frappe, place ce flan sur un premier coin, enchâssé dans un billot ou une enclume, qui porte en creux l’empreinte du dessin qui apparaîtra sur l’une des faces de la pièce. Il pose ensuite sur le flan un second coin, qu’il tient à la main, qui figure quant à lui l’empreinte du dessin de l’autre face de la pièce. Le monnayeur maintient l’ensemble d’une main et, de l’autre, donne alors un violent coup de marteau (d’où l’expression « frapper monnaie » ou « battre monnaie ») suffisamment puissant pour imprimer les dessins des deux côtés à la fois… et la pièce est ainsi prête !

C’est rapide, et apparemment simple, mais il peut y avoir des ratés. Et à certaines périodes, ces ratés sont même très nombreux, car la frappe à la main manque de régularité. Parfois, coins et flan n’ont pas été bien alignés, alors les dessins imprimés sur la pièce ne sont pas centrés, ils sont alors décalés d’une face à l’autre. D’autres fois, le coup de marteau n’a pas été assez fort, ou la surface du flan n’était pas suffisamment régulière, l’empreinte est alors trop faible, inégalement répartie. La pièce paraît usée, alors qu’il n’en est rien.
Si le monnayeur doit donner un second coup de marteau, cette deuxième frappe peut être décalée par rapport à la première : cela donne immanquablement un tréflage. Il arrive aussi que les flans soient trop minces, et que l’on voit d’un côté de la monnaie les tracés du dessin de l’autre face !
Autant d’accidents de frappe qui portent atteinte au rendu final de la pièce, tant sur le plan esthétique que sur la lisibilité de celle-ci. Mais était-ce là l’essentiel ? Assurément non, car les gardes des monnaies, officiers royaux chargés de contrôler la qualité des pièces au moment de leur mise en circulation, ne s’arrêtaient pas à cela. Ils vérifiaient surtout la conformité du poids et du titre des pièces, ces deux éléments constituant la valeur intrinsèque des monnaies sur laquelle était fondée leur valeur libératoire. Au temps de l’économie réelle, le principal était là.
Les accidents de frappe
Les pièces étant frappées à la main et à des cadences souvent très soutenues, il était fréquent qu’elles présentent des imperfections ou malfaçons appelées « accidents de frappe ».
Au Moyen-âge, c’était surtout vrai pour les pièces en billon, ayant une faible valeur. Leur aspect visuel importait peu. L’essentiel était que les pièces aient le bon titre et le bon poids. En revanche, pour les pièces d’or ces accidents de frappe étaient rares, très rares… On en prenait toujours grand soin à cause de leur très grande valeur. On pourrait résumer ainsi : les pièces utilisées par les richesses devaient être belles, celles destinées aux pauvres… C’était moins grave… En matière monétaire, les inégalités étaient criantes !
Définissons et illustrons chacun des principaux accidents.
Partons d’une monnaie « réussie », ou du moins ne présentant pas de défaut de frappe notable.

- Décentrage :
Une partie de la légende n’a pas été imprimée, elle s’est retrouvée en dehors du flan à cause d’un mauvais alignement des coins. Au moment de la frappe, le monnayeur n’avait pas bien positionné ses matrices.

- Fêle de frappe :
Pour que le flan puisse recevoir l’empreinte des coins, il doit être ramolli.
C’est pour cela qu’il est réchauffé (c’est la fonction du recuiteur). Or, si la température n’est pas assez élevée, le métal casse sous le choc de la frappe monétaire. Cette cassure s’appelle un fêle de frappe.

- Tréflage :
Parfois pour être bien imprimé, le flan doit être frappé à plusieurs reprise. S’il bouge entre les frappes, il reçoit alors plusieurs empreintes juxtaposées. Cela donne vraiment l’effet d’une photo floue.


- Faiblesse de frappe :
La surface du flan n’était pas régulière, aussi le coup de marteau n’a-t-il pas pu marquer l’empreinte du motif sur toute la surface de la pièce. La faiblesse de frappe se distingue de l’usure par sa répétition : alors que l’usure efface une partie précise d’une face, la faiblesse de frappe concerne la même partie sur les deux faces à la fois.

- Fantôme :
Par un curieux effet mécanique, il arrive que, sur les pièces dont le flan est mince, on voit d’un côté de la monnaie le tracé du dessin frappé sur l’autre face. Cela s’appelle un fantôme…

En Espagne, et dans l’empire espagnol, les fameuses pièces de huit, et leurs divisionnaires, étaient frappées au marteau. Leur diamètre important rendait presqu’impossible une impression parfaite du métal. En plus de ces contraintes purement techniques, il ne faut pas oublier que les ateliers espagnols étaient soumis à des cadences de frappe particulièrement soutenues, surtout dans les ateliers coloniaux chargés de transformer le métal extrait des montagnes andines et mexicaines. Or, plus il faut produire de pièces, moins on a de temps pour soigner la frappe… C’est pour cela que ces monnaies sont généralement très frustes, difficiles à lire, voire incomplètes. D’ailleurs, elles présentent souvent tous les accidents de frappe à la fois… (figure 10)

https://www.emonnaies.fr/amerique-espagnole-philippe-iv-8-reales-argent-166-seville.html
Pour désigner ces pièces si particulières, qui ont pourtant inondé le monde entier, il existe un mot en espagnol : macuquinas, terme qui signifie littéralement « monnaies frappées au marteau ». Malheureusement, il n’y a pas d’équivalent dans la langue de Molière…
Tous ces défauts sont souvent honnis par les collectionneurs. Pourtant ces défauts ne sont pas dus aux outrages du temps. De plus, ils ne manquent pas d’intérêt, car ils témoignent du fonctionnement interne des ateliers et de la valeur du métier de monnayeur. Enfin, ils peuvent aussi offrir au regard des collectionneurs les plus curieux, ou les plus malicieux peut-être, tout une gamme de bizarreries parfois amusantes. C’est aussi un formidable champ d’expérimentation et d’investigation pour les férus d’histoire des techniques, les experts en archéologie expérimentale ou les passionnés d’histoire vivante, car tous ces défauts nous mettent sur la piste des gestes et des savoir-faire d’autrefois…
C’est pour se rendre compte de la difficulté de frapper les pièces que Grand patrimoine de Loire-Atlantique a développé, en partenariat avec la Monnaie de Paris, une application permettant de battre monnaie virtuellement. Celle-ci est à découvrir dans le cadre de l’exposition « Loire-Atlantique, terre de trésor » présentée au château de Châteaubriant jusqu’au 3 octobre, puis à partir de février 2022 au Chronographe à Rezé. Cette application numérique évalue la dextérité des apprentis monnayeurs sur trois critères : le centrage, l’inclinaison et la force.
Cette installation, autant ludique qu’éducative, donne lieu à de sévères battles entre monnayeurs virtuels !
Gildas Salaün