[MONNAIES ROYALES] par Gildas Salaün, responsable du Médaillier au Musée Dobrée à Nantes
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Une stratégie Gagnante
D’évidence, Charles de Blois prend un soin particulier à la structuration d’une véritable stratégie monétaire permettant l’accroissement de ses revenus tirés du seigneuriage, le bénéfice généré par le droit de battre monnaie. On constate tout d’abord que la prise d’une cité, comme Nantes et Rennes, s’accompagne d’une main mise immédiate sur l’atelier monétaire et d’une réorientation tout aussi rapide des espèces qui y étaient frappées.
Parallèlement, Charles de Blois met en oeuvre un véritable « arsenal législatif » pour attirer les métaux précieux vers ses ateliers. En effet, il interdit régulièrement la circulation des monnaies étrangères à la Bretagne et oblige à porter toutes ces pièces à la fonte dans ses ateliers monétaires. Au passage, bien sûr, il prend un bénéfice…
Enfin, les analyses de la composition métallique des monnaies de Charles de Blois, réalisées par le Centre Ernest Babelon d’Orléans, ont révélé des taux de métaux fins extrêmement bas, en particulier pour l’argent, parfois moins de la moitié d’argent fin par rapport aux pièces royales ! Cette « faiblesse métallique » est le produit des manipulations monétaires, système bien connu pour le Moyen Âge. Ces manipulations permettaient d’accroître davantage encore les revenus tirés du seigneuriage et d’augmenter le nombre de pièces frappées avec une même quantité de métaux précieux. L’effet pervers est immanquablement une grave inflation. C’est d’ailleurs ce que dénonce l’évêque de Lisieux, Nicolas Oresme (1322-1382), dans son fameux Traité des monnaies rédigé en 1355, car son évêché était coincé entre les États de Charles de Blois et ceux de Charles le Mauvais, deux princes ayant largement eu recours aux manipulations et affaiblissements monétaires…
Malgré cela, Charles de Blois jouit d’une image positive parmi ses sujets, car la frappe de nombreuses pièces d’argent, puis d’or, apporte des « grosses coupures » commodes pour les importantes transactions commerciales. Ceci sera même évoqué durant son procès en béatification au début des années 1370. À n’en pas douter, les manipulations monétaires se faisaient surtout au détriment des « petits porteurs », alors que les gros négociants y trouvaient leur intérêt.
Au final, on peut parler d’une véritable « victoire monétaire » de Charles de Blois sur con concurrent Jean de Montfort. En effet, privé de métaux monnayables, Jean de Montfort ne peut produire que de très faibles quantités de monnaies. On peut même raisonnablement estimer que Jean de Montfort frappe dix fois moins de pièces que Charles de Blois à partir du milieu des années 1340 et il n’en frappe quasiment plus à partir de la fin des années 1950. Charles de Blois avait acquis un quasi-monopole sur l’argent-métal disponible en Bretagne. À côté des opérations militaires bien connues, il y a eu une véritable guerre monétaire entre les belligérants ! Cet aspect de la guerre médiévale est aujourd’hui très méconnu pour ne pas dire négligé… Et pourtant, au Moyen Âge, comme aujourd’hui, l’argent était bien le nerf de la guerre.
Par ailleurs, Charles de Blois a toujours tenu un parfait contrôle de ses frontières monétaires. En effet, durant tout son règne, malgré la guerre, ses pièces circulent de manière quasi exclusive dans les zones qu’il maîtrise. Sa stratégie monétaire lui a donc assuré une parfaite maîtrise de l’approvisionnement des métaux précieux, en particulier l’argent, qu’il convient de considérer comme des matières premières stratégiques.
Retrouvez la partie 3 le 4 avril 2019 !
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