Clovis est encore aujourd’hui considéré comme l’un des personnages les plus importants de l’Histoire de France de par ses nombreux héritages qui ont contribué à fonder la France. Il serait à l’origine de la Nation qui succède à la chute de l’empire romain et de la civilisation gallo-romaine. Grâce à ses conquêtes militaires il serait aussi le premier souverain d’un vaste territoire dont les dimensions atteignent celle de la France actuelle. Il est également à l’origine des premières lois qui influenceront toute la dynastie des rois de France. Il encore celui qui comprend le premier l’intérêt de gouverner avec le clergé, donnant à la France le titre de fille aînée de l’Eglise catholique ! Il est enfin celui qui confère aux rois de France leur dimension presque divine sans doute grâce à l’aide précieuse des religieux, abbés ou évêques comme Grégoire de Tours, qui n’hésitent pas à embellir son histoire de quelques miracles pour en faire une référence parfaite auprès de ses successeurs quelques dizaines d’années après sa mort ! Il n’a cependant laissé aucune réforme monétaire ou économique, des préoccupations qui semblent pourtant indispensables dans un si vaste royaume mais qu’il abandonne à ses successeurs et aux responsables ecclésiastiques !
TRANSFORMER UN HÉRITAGE MODESTE EN PUISSANT ROYAUME !
A la fin du Ve siècle, l’empire romain n’existe plus. En 476, le dernier empereur romain a été officiellement renversé par le roi « barbare » Odoacre qui impose la domination des Ostrogoths en Italie. Partout en Occident, d’autres tribus, d’abord alliées aux Romains pour leur permettre de défendre l’empire contre les menaces des Germains ou des Huns, se sont installées durablement en Hispanie comme les Suèves ou les Alains, en Gaule comme les Wisigoths ou les Burgondes, ou dans le nord de l’Afrique comme les Vandales. Seules quelques miettes d’empire restent sous le contrôle d’anciens administrateurs romains comme la région parisienne administrée par le général gallo-romain Syagrius qui se proclame alors « rex romanorum ». Plus au Nord, les Francs ne constituent pas vraiment une Nation et vivent dispersés en clans indépendants entre l’embouchure du Rhin et la Somme. Certains, comme les Francs Saliens, ont bénéficié d’un statut particulier, celui de « fédérés » pour administrer un petit territoire au nom de l’empire romain. Ainsi, Childéric, le père de Clovis, a-t-il accepté cet accord pour administrer la Belgique, en tirer tous les profits fiscaux et protéger le Nord de la Gaulle romaine, elle-même administrée par Aegidius puis Syagrius.
Quand son père meurt en 481 ou 482, Clovis hérite donc de ce modeste territoire au Sud de la Belgique. Il n’a que 15 ans mais il doit déjà s’affirmer en tant que chef militaire et montrer sa capacité à administrer le territoire qui lui est confié. Très tôt il semble conscient des possibilités qui s’ouvrent à lui en raison de la chute de l’autorité impériale romaine et il se lance très jeune dans la conquête de nouveaux territoires. Souverain barbare, c’est un païen que ses guerriers considèrent comme un représentant de Dieu. Il a reçu une éducation essentiellement militaire mais on pense qu’il a appris le latin pour communiquer avec les évêques, derniers personnages à détenir encore une autorité locale importante, et la population gallo-romaine chrétienne qu’il domine. Son nom est prédestiné puisqu’il signifie « illustre dans les batailles » et sera encore porté par de nombreux autres souverains sous la forme francisée de « Louis ».
L’un de ces évêques, Rémi de Reims, va jouer un rôle essentiel auprès de ce jeune souverain dont il a repéré le potentiel pour en faire le protecteur de l’Eglise catholique face aux autres souverains barbares convertis à l’arianisme, une hérésie qui leur permet d’être considérés à l’égal de Jésus-Christ comme des « fils de Dieu », une théorie qui convient parfaitement aux guerriers d’origine germanique. Ainsi, Clovis scelle une alliance avec les Francs rhénans puis épouse une princesse thuringienne, probablement vers 484, pour assurer ses arrières au Nord-Est avant de se lancer à la conquête des territoires au Sud. En 486, il s’empare des principales cités au Nord de Paris avant d’assiéger la ville, capitale de l’ancien allié de son père, Syagrius. Ce dernier, qui n’aura régné que 10 ans sur les derniers vestiges de l’empire romain en occident, préfère se réfugier chez les Wisigoths et abandonner un précieux butin aux guerriers francs. Il est finalement livré à Clovis qui le fait égorger.
C’est lors du partage traditionnel du fruit des pillages que se produit le fameux épisode du vase de Soisson, soigneusement raconté par Grégoire de Tours dans son livre II de l’Histoire des Francs. Il est en effet coutumier chez les guerriers germains de se partager le butin en parts égales puis de les tirer au sort car ces derniers n’exigent pas d’autre salaire pour servir leur chef. Mais ils attendent aussi de celui-ci qu’il soit équitable et juste. Or, Clovis, suite à la demande insistante de son conseiller l’évêque Rémi de Reims, souhaite écarter du partage un vase liturgique provenant du pillage de Soisson afin de le remettre aux autorités ecclésiastiques. Personne n’ose y voir de réel inconvénient sauf un guerrier qui se permet de rappeler au roi qu’il n’est pas au dessus des coutumes ancestrales en donnant un coup de hache dans le vase ! Clovis ne relève pas l’affront sur l’instant car il sait que les guerriers tiennent à ces traditions mais il obtient tout de même la restitution du vase grâce un échange équitable avec sa part personnelle. Sa vengeance n’intervient que près d’un an plus tard, en mars 487. Toujours en présence de tous ses guerriers réunis à l’occasion d’un passage en revue des équipements militaires, il prétexte son droit de reprocher sa mauvaise tenue au fameux d’un coup de hache. Ainsi il montre qu’il sait à la fois respecter les traditions mais aussi faire respecter son autorité royale aux yeux de tous !
Fort de sa victoire et de sa nouvelle responsabilité administrative avec le soutien des évêques de la région parisienne et de Sainte Geneviève, qui s’est illustrée en obtenant d’Attila qu’il épargne la ville en 451, il poursuit son oeuvre autoritaire en éliminant ses concurrents potentiels, chefs de tribus saliennes ou rhénanes vers 490 et en soumettant les Thuringiens vers 491. L’évêque Rémi est alors totalement convaincu qu’il a choisi le meilleur souverain pour protéger l’Eglise en Occident et il parvient à le convaincre d’épouser Clotilde, une princesse burgonde vers 492, officiellement pour s’assurer la bienveillance de ce puissant voisin mais également pour permettre à cette fervente chrétienne de travailler au plus près le roi des Francs pour obtenir sa conversion au christianisme.
LE PREMIER ROI CATHOLIQUE

Le lieu de la conversion de Clovis, fixé à Tolbiac lors d’une bataille contre les Alamans où Clovis aurait imploré le Dieu des chrétiens de lui donner la victoire, puis la date de son baptême, le jour de Noël 496 ne sont que hypothétiques et fortement symboliques. Les chroniqueurs médiévaux, tout comme Grégoire de Tours, souhaitent en effet souligner le caractère miraculeux et donc religieux de ces deux événements. La bataille contre les Alamans a sûrement eu lieu vers 496 mais on ignore où, et surtout on ignore si réellement Clovis était en passe de perdre lorsque miraculeusement son adversaire est tué par une flèche provoquant la débandade de ses troupes. Le parallèle avec la bataille du Pont Miltius qui marque la conversion du premier empereur romain, Constantin, en 312 est évidente.
Le baptême eu probablement lieu un jour de Noël, marque de renaissance pour le soleil, pour la nature comme pour le Christ. Clovis abandonne alors toutes ses coutumes païennes pour embrasser la foi catholique en même temps que 3 000 de ses principaux guerriers. Le miracle de la Sainte Ampoule, apportée par une colombe pour que son huile soit utilisée par l’évêque Rémi pour baptiser Clovis, vient s’ajouter au récit en 876 dans une chronique de l’archevêque de Reims lui-même détenteur de la relique. Ce baptême a en tout cas eu lieu avant 499 et revêt une grande importance par le signal qu’il donne à toute la population gallo-romaine chrétienne, toujours largement majoritaire dans une Gaule dominée par quelques guerriers barbares ariens. La monarchie franque est ainsi très stratégiquement associée au clergé, qui lui apporte toute ses connaissances et ses compétences diplomatiques et culturelles ainsi qu’une légitimité supérieure auprès de la population chrétienne.
Les Bretons et les Armoricains reconnaissent alors l’autorité du souverain franc vers 500 mais ils ne lui versent pas de tribut tandis que l’empereur chrétien de l’empire romain d’Orient lui fait parvenir les insignes consulaires en signe d’approbation. Clovis peut alors se tourner contre son principal adversaire et ennemi de l’Eglise, le puissant roi des Wisigoths qui règne sur un territoire allant de la Loire au détroit de Gibraltar. La terrible bataille a lieu à Vouillé au printemps 507. L’armée des Wisigoths est puissante mais Clovis parvient à tuer lui même le roi Alaric II sur le champ de bataille. Ses troupes se retirent alors jusqu’au sud des Pyrénées et laissent à Clovis le champ libre en Aquitaine.
Clovis est alors enfin à la tête d’un vaste royaume capable de rivaliser avec ceux des Ostrogoths, des Wisigoths ou des Burgondes. Il déplace sa capitale de Soisson à Paris pour des raisons stratégiques vers 508 et s’installe dans l’ancien palais impérial de Julien sur l’île de la cité pour consolider les bases de son royaume. Il consacre ensuite la fin de son règne à encourager la construction d’églises et de monastères… peut-être pour se faire pardonner les crimes qu’il commet dans sa propre famille pour garantir ses pleins pouvoirs et assurer sa succession. Il n’hésite pas ainsi à faire assassiner plusieurs de ses neveux, de ses cousins ou les restes des familles des différents souverains soumis pour éviter toute velléité d’établissement de petits royaumes locaux ou d’émiettement de son héritage.
Il établit également le premier recueil de lois franques inspiré des textes de loi romains comme le code Théodosien, Wisigoths comme le Bréviaire d’Alaric ou Burgondes comme la Gombette. Cette loi, dite « salique », rédigée entre 508 et 510 vise à pacifier les relations entre ses nombreux sujets. Elle établit par exemple l’égalité de droit entre les sujets germains et gallo-romains ainsi que la liberté de mariage. Clovis contribue ainsi à fonder l’unité de son peuple à l’origine de la Nation française. C’est également cette fameuse loi qui exclut les femmes des droits de succession fonciers. Elle limite ainsi les luttes de pouvoir lors du partage de terres ou de titres ou même de sa propre succession royale. Enfin, en établissant des tarifs à payer pour indemniser les victimes et leur famille, elle permet d’éviter de faire couler le sang en laissant le droit de vengeance s’exercer. Ainsi, si quelqu’un vole à autrui un filet à poisson, il doit lui verser 15 sous. S’il lui vole un cheval, 30 sous. S’il lui arrache une main, un pied ou un oeil, 100 sous. Enfin, le meurtre d’un homme s’indemnise par le versement de 300 sous, seulement 150 si c’est une femme ! Le sou est donc la monnaie de référence sous Clovis !
PAS DE POLITIQUE MONÉTAIRE OU FINANCIÈRE !

Tout d’abord, les invasions barbares des IVe-Ve siècles ont fortement réduit les possibilités d’échanges monétaires avec le pillage des cités, la fermeture des ateliers ou des mines, la rupture des routes commerciales et la diminution des productions agricoles ou artisanales. De plus, les dépenses des rois francs sont peu importantes et donc n’exigent pas une production importante de monnaie. L’armée ne coûte rien, les hommes mobilisés sont de fidèles guerriers devant fournir leurs armes et vivre sur les pillages des territoires traversés. L’administration ne pèse pas non plus sur le trésor royal puisque l’entourage du roi se réduit à quelques guerriers et ecclésiastiques. Tous les travaux publics sont exécutés sous forme de corvées et l’assistance publique, l’éducation, les soins aux malades sont l’affaire de l’Eglise.
L’utilité d’une monnaie souveraine portant l’effigie royale ne semble pas non plus une priorité et l’absence de décisions royales dans toutes les monarchies d’origine barbare de l’époque semble témoigner qu’ils se contentent de respecter les anciennes législations monétaires impériales. C’est pourquoi Clovis se contente de réutiliser les monnaies de bronze et d’argent de l’époque romaine, suffisamment abondantes. Il reprend également les monnaies des territoires conquis comme les siliques d’argent frappés par Syagrius, elles-mêmes imitations des monnaies impériales d’Orient. D’ailleurs rares sont les souverains barbares qui frappent déjà leur propre monnaie. Les Burgondes, comme les Wisigoths ne le feront que dans la première moitié du VIe siècle.
Clovis considère cependant le sou d’or, ou ses subdivisions comme le semissis (1/2 sou) et le triens (1/3 de sou) comme les monnaies les plus précieuses réservées au trésor royal, au versement des tributs ou au paiement des amendes imposées par la loi salique. En revanche, les redevances dues par les paysans sont versées en nature et les commerçants préfèrent bien souvent échanger leurs marchandises plutôt qu’utiliser des monnaies fortement dévaluées, rognées ou mal imitées par des chefs barbares peu inspirés qui conservent l’effigie de l’empereur d’Orient ou les symboles classiques romains de la victoire sur les pièces qu’ils font re-frapper au marteau après les avoir teintés de métaux plus vils.
CLOVIS MEURT ET PASSE À LA POSTÉRITÉ !
Clovis meurt d’une affection à l’âge de 45 ans en novembre 511 et est inhumé au côté de Sainte Geneviève dans l’église abbatiale qu’il lui a fait édifier à sa mort en 502. Son sarcophage a aujourd’hui disparu, probablement à la suite de pillages Normands au IXe siècle mais son gisant, sculpté au XIIIe siècle fut transféré à Saint Denis en 1816. Clovis semble très attaché à la religion à la fin de sa vie et a même le temps de convoquer un concile à Orléans en juillet 511 pour se faire proclamer « Rex Gloriosissimus fils de la Sainte Eglise Catholique » par tous les évêques de son royaume. Aussitôt après sa mort, ses quatre fils se partagent équitablement son royaume mais très vite ils se disputent faisant sombrer toutes les provinces dans une longue guerre civile. Aucun ne semble avoir hérité du charisme de Clovis et chacun se comporte d’avantage en chef de bande cruel plutôt qu’en sage souverain.
Ce sont pourtant ces successeurs qui, souhaitant sans doute prétendre à plus de légitimité, feront enfin frapper des sous ou des triens portant leur effigie et une croix chrétienne au revers. Théodebert, semble être le premier Mérovingien à le faire vers 538 en imitant ses voisins burgondes et wisigoths. Ces impitoyables souverains mérovingiens n’hésitent pourtant pas à faire preuve de beaucoup de générosité avec les ecclésiastiques en multipliant les offrandes aux abbayes et aux lieux saints, les principaux étant Saint Hilaire de Poitiers, Saint Martin de Tours ou Saint Denis. Ces derniers deviennent alors les principaux ateliers monétaires au VIe et VIIe siècle en recyclant l’argent et l’or des dons en monnaies, bien avant qu’un souverain suffisamment puissant ne puisse en faire un privilège régalien.