Par Pierre Delacour
Il est né au XVIIIe siècle (1788) mais c’est certainement un des artistes des plus originaux du XIXe siècle qui va devoir la plus grande partie de sa renommée à ses médailles. Encore qu’une précision de vocabulaire s’impose : médaille ou médaillon ? Car il s’agit, en fait, de grands bas-reliefs circulaires, unifaces, obtenus par la fonte et non par la frappe. Et ce seront ainsi 131 médaillons, modelés entre 1814 et 1854, que cet artiste hors norme va créer.
UN PRÉCURSEUR DES ROMANTIQUES
Né le 12 mars 1788 à Angers, Pierre- Jean David appartient à une lignée dont les ancêtres sont à rechercher au XVIIIe siècle, mais dont la tête est solidement implantée dans son siècle. S’il a la sensibilité de Jean-Jacques Rousseau, partisan de la République, il est admirateur de la Convention et va fréquenter tout ce qui compte en terme d’écrivains et de penseurs politiques, fréquentations qui vont ensuite peupler ses Carnets. D’ailleurs, les experts vont noter que, si son art n’évolue pas au cours de ses quarante années de production, c’est surtout parce que sa fin est autre, elle a une vertu d’enseignement des masses. Sa formation commence en 1800 à l’Ecole Centrale d’Angers où il prend des cours de dessin ; mais c’est son père, sculpteur, qui va lui communiquer l’essentiel de son savoir-faire. En 1808, il part pour Paris, s’inscrit dans l’atelier de Roland et, pour subvenir à ses besoins, va travailler au chantier de la décoration du Louvre. En 1810, il remporte un Second Grand Prix pour une de ses sculptures et, en 1811, un Premier Grand Prix. Repéré par le peintre David, il obtient une pension qui va le mettre à l’abri du besoin. En 1815, il est pensionnaire de la Villa Médicis (où il rencontre Ingres) et parcourt l’Italie. Il reçoit sa première commande officielle en 1816 et est élu à l’Institut en 1826. Il a 38 ans seulement. C’est lors d’un voyage en Angleterre, en 1828, qu’il débute la rédaction de ses Carnets. En 1829, il part en Allemagne où il réside chez Goethe. A son retour, il intègre les cercles romantiques où il rencontre Balzac, Victor Hugo, Madame Récamier ou la duchesse d’Abrantes. C’est à cette période qu’il va façonner les médaillons des principales gloires d’Europe. Leur vérité, leur ressemblance auxquelles il s’attache vont, parfois, lui attirer les foudres de la critique, comme celle de Baudelaire par exemple.

Très jeune adepte de la franc-maçonnerie, il appartient à la loge du Tendre accueil à Angers, et participe activement aux Trois Glorieuses de 1830. Bien que déçu par leur échec, il va accepter les commandes officielles des pouvoirs successifs. Si on ne doit en retenir qu’une seule, ce sera le fronton du Panthéon que le Ministre Guizot lui commande en lui demandant d’illustrer la phrase : « Aux Grands Hommes, la patrie reconnaissante ». Il se marie et a deux enfants, Robert et Hélène. Il est candidat à plusieurs reprises à la députation dans le Maine-et-Loire mais sans succès. Au sommet de sa gloire, il assiste de son vivant à l’inauguration de la galerie portant son nom au musée d’Angers. Il participe à nouveau aux journées révolutionnaires de 1848, refuse le poste de Directeur des Musées, est nommé maire du VIe arrondissement de Paris et élu à l’Assemblée Constituante.
L’arrivée de Napoléon III va provoquer son arrestation et son exil à Bruxelles. Il va alors voyager en Grèce, puis en Italie, avant d’être à nouveau autorisé à rentrer en France pour mourir, le 5 janvier 1856.
UNE OEUVRE MÉTALLIQUE ÉNORME
De ses médaillons, Victor Hugo dira : « C’est la monnaie de bronze avec laquelle vous acquittez votre péage à la postérité ». D’autres diront de son oeuvre que c’est « le Médaillier du XIXe siècle ». L’artiste dénommait cette forme particulière d’art, « de légers feuilletons », car d’exécution très rapide, souvent modelés directement sur une ardoise, mais les ouvrages les plus pérennes de son oeuvre. Ces médaillons étaient fondus en trois exemplaires : un pour lui, un pour le modèle et un pour le musée d’Angers. Encore que Mérimée, fâché avec l’artiste, a du coup, quelques difficultés à s’en procurer un exemplaire. Voici ce qu’il indique en 1836 : « Pour le médaillon, je ne sais, en vérité, comment en trouver. Le mouleur n’en a plus et pour vous en procurer, il faudrait faire la cour au sculpteur avec lequel je suis un peu beaucoup en froid ». En revanche, voilà ce qu’en dit Balzac à la réception de son portrait : « Les numismates ne seront-ils pas embarrassés de tant de têtes couronnées dans votre atelier, quand ils retrouveront parmi les cendres de Paris ces existences par vous perpétuées au delà de la vie des peuples et dans lesquelles ils voudront voir des dynasties ».

Car David ne choisit pas ses modèles au hasard. Ces nouvelles « dynasties » sont celles des romantiques, des hommes de 1848. Son art est aussi éloigné de la caricature que de l’idéalisme, donnant à ses modèles « un profil de médaille », c’est-à-dire celui d’un héros que l’on n’oublie pas. La plupart de ses créations sont réalisées du vivant des modèles, mais certaines le sont après leur décès (Simon Bolivar, Géricault…). De même, la majorité des portraits sont traités de profil, alors que d’autres le sont de trois-quart face (Bonaparte, Musset, Balzac…). La majorité de ses médaillons sont en bronze, mais certains ne sont connus que sous forme de plâtres. Ils sont généralement signés de l’artiste, parfois datés, et peuvent porter le nom du personnage de la main de David et en lettres cursives. C’est d’ailleurs ce que Stendhal lui demanda lorsqu’il en fit le portrait : « Cher et obligeant ami, vous par qui je vivrai après ma mort. Si vous mettez un nom à la médaille, mettez en petits caractères : Henri Beyle ».
Son panthéon peut être divisé en trois grandes parties : des artistes (écrivains, peintres, musiciens…), des politiques et des personnages, célèbres alors, mais dont la postérité ne nous est pas réellement parvenue. Peu de femmes dans ces portraits, mais quelles femmes ! Marceline Desbordes Valmore, Madame Recamier, George Sand, la duchesse d’Abrantes…

Arrêtons-nous sur un portrait qui inspire plus particulièrement les numismates : celui d’Augustin Dupré. Considéré comme un des meilleurs médailleurs de la fin du XVIIIe siècle, auteur de la médaille de l’Indépendance américaine, il est devenu, en 1791, Graveur général des Monnaies. A ce titre, il est l’auteur du désormais très célèbre « Hercule amenant la Liberté et l’Egalité à se donner la main ». Le médaillon que David réalise de Dupré date de 1832. Nous le savons par une lettre de David qui précise dans quelles conditions il le réalisa : « Nous n’avons pu assister à la première du Roi s’amuse, où notre Hugo a été si cruellement traité par le public. Nous étions, Emilie et moi, à Armentières où j’allais faire le médaillon du célèbre Dupré, graveur en médailles. Il était bien temps que j’arrivasse, car le pauvre artiste était mourant ». Notez, au passage, que le médaillon consacré au peintre Ingres est, lui, de forme carrée.
En 1966, la Monnaie de Paris rend hommage à ce grand artiste en organisant une exposition de ses oeuvres. Un grand nombre de ses médaillons ont d’ailleurs été reproduits par la Monnaie de Paris sous forme de médailles unifaces. Compte tenu du prix et de la rareté des originaux, c’est donc sous cette forme que vous pouvez aujourd’hui les trouver dans le commerce.