En ces moments particulièrement douloureux que vit l’Ukraine, Monnaie Magazine a décidé de consacrer un article spécifique à son histoire monétaire en signe de soutien. Car la monnaie a, de tous temps, été un signe majeur d’affirmation de l’existence d’un pays et de son autonomie. Si l’apparition de monnaies proprement ukrainienne est récente, ce grand pays de plus de 600.000 km2, a, historiquement, souffert de son positionnement central, du nord au sud entre la Baltique et la mer Noire, ou d’est en ouest entre la Volga et la Vistule. Cela lui permit d’être un point central dans les échanges, mais ne cessa aussi d’aiguiser les appétits de ses voisins.

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Un peu d’histoire
Jusqu’au VIII ° siècle de notre ère, ces territoires ont sans cesse été traversés par de nombreux peuples qui ont pu s’y installer sporadiquement. On peut considérer que, à partir du VI° siècle, ce sont surtout des tribus slaves qui viennent y faire souche. Au VIII°/IX° siècle, elles se fédèrent autour d’un chef, Oleg le Sage, qui fonde un état dont la capitale va être Kiev. Il s’étend au nord de l’actuelle Ukraine, en Biélorussie, et à l’ouest de la Russie ce qui, au IX° siècle, en fait l’état le plus vaste d’Europe. Dans leur langue, cet état est nommé Rous’ ou Rus’, qui donnera plus tard le nom de Russes et Russie. Au X° siècle, le pays se convertit au christianisme et il connaît son apogée territoriale pendant la première moitié du XI° siècle, sous le règne de Iaroslav le Sage. Au XIII° siècle, il est envahi par les Tatars et les Mongols qui vont imposer pour longtemps leur autorité. Au XIV° siècle, Lituaniens et Polonais commencent à repousser Tatars et Mongols et s’installent peu à peu à leur place dans toute l’Ukraine de l’ouest. Tous ces territoires vont suivre une double évolution : la « polonisation » tout d’abord et l’arrivée du Catholicisme, qui va peu à peu remplacer la religion orthodoxe. Parallèlement, le sud est va rester sous l’influence des Tatars, puis des Ottomans (Turcs), avant d’être colonisé par l’empire Russe. C’est en grande partie ce clivage que l’on rencontre encore aujourd’hui.
Dans ce contexte, au XV° siècle, apparaissent les Cosaques, qui, schématiquement, sont des paysans pauvres et orthodoxes qui refusent à la fois la domination polonaise et le catholicisme. Très nombreux, ils se soulèvent en plusieurs occasions au XVI° siècle et, en 1648, battent les lituano-polonais. Aboutissant à un territoire Cosaque nommé « Ukraine » (pays frontière), dans le bassin du Dniepr. Au XVIII° siècle, les Cosaques sont battus pas les Russes dont ils deviennent vassaux. La fin du XVIII° siècle voit également la fin de l’autonomie de l’Ukraine. Sa province de l’ouest, la Galicie, passe (dans le cadre du démantèlement de la Pologne) sous la domination autrichienne en 1772 et, en 1793, Catherine II s’empare de tout le reste du territoire, jusqu’à la mer Noire, et va y débuter une politique de russification forcée.
Au cours du XIX° siècle, l’Ukraine va devenir le principal centre industriel russe avec un développement intensif du chemin de fer, l’exploitation des gisements de charbon et de fer, mais aussi une agriculture tournée vers le blé et le sucre (betteraves). Mais cette nouvelle prospérité ne bénéficie qu’aux élites polonaises ou russes, ce qui favorise la montée d’un mouvement national ukrainien. Avec la Première Guerre mondiale, et la disparition de l’Empire russe en 1917, les Ukrainiens déclarent leur indépendance, reconnue par la France et le Royaume-Uni. Même phénomène en 1918. Lors du démantèlement de l’empire Austro-Hongrois, la Galicie annexée reprend son indépendance et rejoint l’Ukraine. Mais si, à l’Ouest, la guerre s’est achevée par l’armistice du 11 novembre 1918, elle va se poursuivre encore pendant plusieurs années à l’est, opposant les armées « Blanches » tsaristes aux « Rouges » bolcheviks qui continuent de s’affronter et de mettre le pays à feu et à sang. Le résultat est désastreux. Les Rouges, vainqueurs s’emparent de l’essentiel du pays avec Kiev pour capitale, qu’ils intègrent en 1922, à l’URSS, alors que la province la plus à l’ouest, avec Lviv pour capitale, intègre la Pologne. La domination soviétique se fait vite sentir. Outre les grandes purges suivies par des déportations massives, la collectivisation des terres provoque de nombreuses famines, dont celle de 1933 fera près de 8 millions de morts.
Pendant la Seconde guerre mondiale, le territoire ukrainien subit, alternativement, les exactions des envahisseurs Allemands et Russes. Ces derniers, vainqueurs, poursuivirent encore longtemps une politique hostile au pays, alternant périodes d’apaisement et déportations des opposants. Le point d’orgue de cette période restera, sans doute, la catastrophe de Tchernobyl, en 1986 qui rappelle à la population que, pour la Russie l’Ukraine était « un grenier à blé surexploité et la poubelle nucléaire de l’URSS ».
Avec l’effondrement du bloc soviétique, et la montée d’un bloc démocratique, l’acte d’indépendance est proclamé le 24 août 1991, confirmé par un référendum, le 1er décembre de la même année, qui reçoit plus de 90 % des suffrages. Depuis lors, la vie politique ukrainienne a oscillé entre une envie de se rapprocher de l’Union européenne, et les pressions de la Russie pour sauvegarder sa zone d’influence. C’est ainsi qu’en 2004, Moscou appuie la candidature d’un de ses partisans, Viktor Ianoukovytch, à l’élection présidentielle. Son élection, très suspecte, provoque un soulèvement populaire dit « révolution orange » qui provoque une nouvelle élection, qu’il perd cette fois. Mais les tensions avec Moscou ne cessent pas et aboutissent, en mars 2014, par une annexion de la Crimée, qui est immédiatement intégrée à la Fédération de Russie. En avril, la région ukrainienne russophone du Donbass se soulève, avec l’aide non déclarée de la Russie, et donne lieu à la création de deux « républiques » de Donetsk et Lougansk. Et le 24 février 2022, les troupes russes envahissent l’Ukraine.
Et les monnaies ?
On connaît un monnayage propre au pays dès le IX-X° siècle, et en particulier sous Vladimir le Grand. Il porte déjà au revers ce qui constitue encore les armoiries du pays, un trident héraldique. La monnaie d’argent se nomme srebrennik et zlatnik pour l’or. L’atelier est installé à Kiev. Leur typologie est très influencée par le monnayage byzantin. Le passage sous domination lituano-polonaise va apporter un monnayage différent. Mais avec le passage sous l’autorité Russe, ce fut le rouble qui s’imposa dans la circulation. Lors de sa très éphémère indépendance de 1917, la jeune république a créé sa propre monnaie nommée karbovanets, à nouveau remplacé par le rouble, soviétique cette fois. Notez que, avide de propagande, l’URSS développe une abondante production de médailles dont certaines vont célébrer « le 300 ° anniversaire de la réunification de l’Ukraine à la Russie » (en 1954), puis le 325° (en 1979), le « 30° anniversaire de la libération de l’Ukraine de l’invasion fasciste » (en 1974) ou le 50° anniversaire des jeunesses communistes léninistes d’Ukraine.
Le karbovanets fait une première réapparition durant l’occupation allemande en 1942. Puis, peu après son indépendance, en 1991, elle va faire être à nouveau temporairement utilisée jusqu’à ce que l’Ukraine adopte, en 1996, une nouvelle monnaie, le grivna ou hryvnia, divisée en 100 kopiyok. Dès 1992 apparaissent les premières monnaies exprimées en kopiyok (1, 2, 5, 10, 225 et 50). En 1995/96, des monnaies commémoratives vont être émises, de 200.000 karbovantsiv en cupro-nickel, 1 et 2.000.000 karbovantsiv en argent. Puis, depuis 1996, des pièces de 2 et 5 grivna en cupro-nickel, 10 et 20 grivna en argent et 50 grivna en or. A partir de 2000, les monnaies de 5 grivna ont été émises en frappe bi-métalliques. Notez que l’Ukraine a produit un très grand nombre de monnaies commémoratives, rapportées à sa très jeune indépendance. En 2018, elle émet aussi d’originales pièces hexagonales , colorisées, en argent. En 2015, la monnaie ukrainienne rappelle que le pays frappe à la porte de l’Europe.
Avec la montée en puissance du conflit potentiel avec la Russie, on constate que, parallèlement, l’armée est de plus en plus présente que les monnaies. On la retrouvait sur cette pièce de 5 grivna de 2001 qui célèbre le 10° anniversaire de l’armée ukrainienne, ou celle de 2017 qui commémore sa première tentative d’indépendance, en 1917. Mais, depuis 2018, elle y figure encore plus souvent, comme sur cette monnaie de 10 hryvnia célébrant les défenseurs de l’aéroport de Donetsk. Même chose en 2019 (armée ukrainienne), 2020 (armée de l’air ou garde frontière) ou 2021 (troupes aéroportées et armée de terre).
Solidarité avec l’Ukraine
Mais le conflit qui a éclaté ouvertement fin février, a aussi déclenché un vaste mouvement de solidarité qui a aussi touché le monde de la numismatique. La Monnaie de Paris a lancé une mini-médaille dans le but de soutenir les populations touchées par ce conflit dont une grande partie du montant de la vente
ira à la Croix-Rouge à destination de la population ukrainienne. L’avers montre la tour Eiffel arborant fièrement le drapeau bicolore Ukrainien. Le drapeau présente également la devise française « Liberté, Égalité, Fraternité ». Autre exemple, la Monnaie royale canadienne a annoncé qu’elle ferait don du produit net des ventes de ses pièces de collection sur le thème de la « pysanka » de 2022 au fonds de secours ukrainien de la Croix-Rouge à la lumière de l’invasion russe. La « pysanka » est un œuf de Pâques traditionnel en Ukraine, très coloré et souvent réalisé dans les familles. Depuis 7 ans, la RCM célèbre fièrement la richesse de la culture et de l’art ukrainiens au Canada avec une série de pièces de collection à succès sur ce thème. Cette année, tous les profits nets de la vente de ces pièces d’or et d’argent seront versés à la Croix-Rouge canadienne pour venir en aide à l’Ukraine. On peut raisonnablement s’attendre à d’autres initiatives de ce type.
Découvrez une sélection de pièces émises en soutien à l’Ukraine ICI.