Par Pierre Delacour
SI ON SAIT QUE LA VILLE DE MARSEILLE A ÉTÉ CAPITALE EUROPÉENNE DE LA CULTURE EN 2013, ON SAIT BEAUCOUP MOINS QUE CETTE VILLE EST PARMI CELLES QUI, EN FRANCE, CONNAÎT LA PLUS ANCIENNE TRADITION NUMISMATIQUE. UNE HISTOIRE DE PLUS DE 26 SIÈCLES !
UNE COLONIE GRECQUE… DÉLAISSÉE PAR ROME

C’est vers 600 avant J.-C. que des colons venus de la ville grecque de Phocée (sur la côte grecque de l’Anatolie aujourd’hui en Turquie) fondent la colonie de Massalia, qui deviendra Marseille. Ils vont établir leur cité sur les bords du Lacydon, petit cour d’eau qui débouchait dans ce qui est aujourd’hui, le vieux port. La nouvelle cité, entièrement ceinte de remparts, est tournée vers la mer et le commerce, et son port ouvre sur un bassin destiné à la navigation.
Au contact des populations gauloises, elle va contribuer à diffuser la civilisation grecque, mais surtout, en application des usages dans les autres cités grecques, c’est l’apparition du premier monnayage français. On connait un très important monnayage d’argent et de bronze, strictement marseillais, portant les lettres MA ou MAZZA pour Massalia. Les plus connues montrent un taureau chargeant, un lion ou une roue et des divinités grecques. Ce monnayage, symbole de la richesse de la ville, se retrouve sur tous les axes commerciaux de l’époque et a été imité par les cités voisines.
Au IIe siècle après J.-C., la ville est assiégée par César qui s’en empare, la soumet et la dépouille de ses colonies. Marseille ne cesse de décliner au profit de sa rivale, Arles. Du Ve au VIIIe après J.-C., elle connaît une période de troubles et de crises qui affectent les habitants et le commerce maritime. Cette place secondaire se manifeste également par l’absence de monnayage gallo-romain spécifique, la place étant occupée par d’autres ateliers monétaires romains très prolifiques comme Arles, Lyon, Nîmes, Orange, Cavaillon…
LE RENOUVEAU DU MOYEN-ÂGE

Le début du IXe siècle démarre sous de sombres auspices avec le pillage de la ville par les Sarrasins puis par des pirates grecs. Le nouveau développement de la ville va se faire autour de deux axes principaux et complémentaires : le commerce et la religion. Au plan commercial, le développement du port favorise les échanges avec l’ensemble de la Méditerranée. En ce qui concerne la vie religieuse, c’est autour de l’Abbaye St Victor qu’elle va s’organiser. La ville devient alors le centre d’une activité religieuse importante en Provence, où l’on compte de nombreux prieurés.

A partir du Xe siècle, les situations politique et religieuse vont se stabiliser grâce à la nomination par le Comte de Provence d’un frère de l’évêque Honorat comme vicomte de Marseille. En dépit de quelques turbulences, la paix économique et sociale sera maintenue et permettra à la ville de conserver son indépendance vis à vis de la France. Au XIIIe siècle, la république marseillaise n’est pas encore une démocratie et le pouvoir appartient à une oligarchie marchande. Mais malgré les luttes politiques, elle connaît un nouvel essor économique et une croissance démographique considérable.

En dépit de nombreux troubles, cette période fait l’objet d’un très important monnayage. Pour la période mérovingienne (VIIe-VIIIe siècle) on connait de nombreux types en or (sous et tiers de sou) ou en argent (denier) de Clotaire II (613-629), Sigebert III (634- 656), Childéric II (663-675), Dagobert II (675-678) ou Childebert III (695-711). Le mot MASILIA (avec un S couché) est celui qui revient le plus souvent. Sur les deniers d’argent figurent les noms de plusieurs Monétaires comme Ansedert, Antenor ou Nemfidius. Pendant la période carolingienne, on connait également de très beaux deniers de Marseille comme ceux de Louis le Pieux (814-840) portant, au revers, l’inscription en 2 lignes MASS-ILIA.
Mais c’est surtout celui des comtes de Provence qui est connu, à partir du passage du comté à la maison d’Anjou, au début du XIIIe siècle. Les premières pièces, sous Charles Ier d’Anjou (1246-1285) portent, au revers, la légende MASSILIENSIS. Toutes d’argent, elle étaient nommées gros marseillais ou menuts marseillais.
DE LA RENAISSANCE À LA RÉVOLUTION

Dès le passage du Comté de Provence au royaume de France, un atelier monétaire royal est installé à Marseille. Les premières monnaies sont frappées par Charles VIII (1483-1498) à partir de 1492. La marque de cet atelier est l’écusson de Marseille placé à l’exergue. Il est néanmoins fermé sous Louis XII, en 1504. Il ouvre à nouveau sous François Ier, en 1524. Ecu et demi-écu d’or au Soleil y sont frappés, ainsi que des testons et demi-testons d’argent, des douzains de billon, ou des monnaies noires comme le double-tournois ou des patacs, des quarts ou des deniers coronats, petites monnaies provençales traditionnelles, frappées uniquement à Aix et Marseille. Les lettres patentes du 14 janvier 1540, qui décident que chaque atelier monétaire sera représenté désormais sur les monnaies par une lettre, ne lui voient attribuer aucun signe.

Pourtant, l’hôtel des monnaies poursuit ses émissions sous François Ier comme sous Henri II. Il cesse son travail sous Charles IX et Henri III. Ayant rejoint le parti de la Ligue, la ville frappera néanmoins quelques liards au nom de Henri III (après sa mort) et d’autres pièces au nom de Charles X, chef des Ligueurs. Cette attitude frondeuse lui vaudra la fermeture de l’atelier pour longtemps, supplanté par sa rivale, Aix-en-Provence. Sa fabrication ne reprendra que… sous Louis XVI lorsqu’un édit de février 1786 supprime l’hôtel des monnaies d’Aix et rétablit celui de Marseille. Le matériel d’Aix y fut transféré dans le couvent des pères de la Merci. Son différent sera désormais MA.
LE TOURNANT DU XIXE SIÈCLE
Comme en d’autres villes, Marseille connait de nombreux troubles durant la Révolution. Elle est même rebaptisée provisoirement « la ville sans nom » début 1794 suite à des émeutes contre la Convention.

C’est autour de son port que la ville va essentiellement se développer tant économiquement qu’en terme d’explosion de sa population. Grâce à cette activité portuaire, qui connaîtra son apogée à la fin du XIXe siècle, on voit se développer de multiples industries du tabac, du savon, du sucre de de l’huile. Outre cette activité de commerce, le port développe également une activité tournée vers les voyageurs en devenant point de départ des lignes de paquebot de l’Extrême Orient, escale des lignes de Suez.
Cette période est également marquée par le développement des transports urbains (tramways en particulier), d’autant plus nécessaires que la ville continue de s’étendre, ou l’arrivée du chemin de fer en plein centre-ville avec la construction de la gare Saint Charles (1845).
L’atelier monétaire poursuit son activité très régulièrement. Après plusieurs déménagements pendant la Révolution, il est installé, en 1801, dans le local des « Pauvres Passants » (aujourd’hui rue des Convalescents), jusqu’à sa fermeture définitive en 1857.
DU XXE SIÈCLE À AUJOURD’HUI

Deux phénomènes vont profondément marquer le XXe siècle à Marseille. Tout d’abord, la cité phocéenne doit accueillir de nombreuses vagues successives d’immigration qui voient considérablement augmenter sa population. Ensuite, la décolonisation va provoquer le déclin des activités portuaires classiques de négoce et d’industrie de Marseille, même si elles sont un peu relayées par les activités pétrolières.
A partir des années 1980, un nouveau tournant est pris afin de replacer la ville dans la compétition tant technologique qu’économique (Euroméditerranée). C’est dans ce contexte que la ville, qui compte aujourd’hui 2 millions d’habitants, vient d’être choisie Capitale Européenne de la Culture en 2013. Les cérémonies de lancement se sont tenues les 12 et 13 janvier avec un Parcours d’art contemporain, une Parade des Lumières, la Grande Clameur, une Chasse au 13’or… D’autres événements seront organisés tout au long de l’année.
Durant cette période, l’atelier monétaire ne sera jamais réouvert. Néanmoins, les amateurs pourront se tourner tout d’abord, vers un très grand nombre de médailles et de jetons commémorant des événements particuliers ou des personnages célèbres.
Ensuite, comme un peu partout en France, la Première Guerre Mondiale verra l’émission d’une grande variété de monnaies de nécessité. Et, en 2011, la Monnaie de Paris a frappé une pièce commémorative d’une valeur faciale de 1 euro 1/2 consacrée à l’Olympique de Marseille.
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LE CABINET DES MONNAIES ET MÉDAILLES DE MARSEILLE
Archives Municipales, 10, rue Clovis Hugues (13001) – Tél. : 04 91 55 33 75

Le Cabinet des Médailles de Marseille est un des premiers de France et possède, de plus, une très importante bibliothèque numismatique, dont les ouvrages s’échelonnent du XVIe siècle jusqu’à nos jours. Il continue à s’enrichir de dons et d’acquisitions. Ce fut notamment le cas en 1981, avec un legs de monnaies grecques provenant de la collection d’Henry Vernin. Ce cabinet possède aujourd’hui un fonds très important de monnaies de toutes époques, dont la spécificité est, pour une bonne partie d’entre elles, d’avoir été émises dans la région.
L’origine de ce cabinet remonte au début du XIXe siècle. À la mort d’Alexandre Fauris de Saint- Vincent, érudit originaire d’Aix-en-Provence, ses héritiers n’acceptent la succession que sous bénéfice d’inventaire. Pour faire face aux créanciers, ils décident de vendre les collections de leur oncle, en particulier les monnaies, ainsi que la bibliothèque les accompagnant. Ému de cette situation, le préfet des Bouches-du-Rhône en informe le ministre de l’Intérieur et sollicite une subvention pour les faire acquérir par le département. Un accord se dessine selon les modalités suivantes : la ville d’Arles se porte acquéreur des 10 500 livres de la bibliothèque, Aix-en-Provence conserve les antiques et les manuscrits, et Marseille les monnaies et médailles.
Rien n’est prévu pour accueillir ces pièces à Marseille, aussi sont-elles tout d’abord entreposées à la bibliothèque, en vrac dans des sacs. Elles y resteront jusqu’en 1969, date à laquelle elles seront transférées aux Archives de la ville.
Un premier inventaire estime l’acquisition à plus de 7 000 pièces. Cette collection, qui vient s’ajouter à un fonds plus ancien, s’accroît de nombreux dons et achats, parmi lesquels celui du fameux décadrachme de Syracuse. À partir de 1833, un nouvel employé, Jean Fautrier s’attaque à la rédaction du catalogue des collections, qui en dix ans comptera déjà 16 volumes. En 1851, le cabinet possédait plus de 10 000 pièces.

En 1856, Adolphe Carpentin est nommé conservateur. Il va faire porter tous ses efforts sur l’acquisition de monnaies provençales. Le 24 octobre 1857, Jean-François Honorat, maire de Marseille, inaugure une grande galerie faisant suite à la bibliothèque, destinée à recevoir le Cabinet des Médailles. En 1867, le nouveau conservateur, Laugier, se porte acquéreur de 125 des 2 130 oboles du célèbre trésor d’Auriol et, en 1875, de la collection d’André Martin, soit près de 9 000 pièces au total. Ce conservateur est à l’origine de l’exceptionnel catalogue des collections en 35 volumes.
En 1881, le nouveau Palais des Beaux-Arts est achevé et le médaillier y est installé. Laugier en profite pour organiser une vente publique et se défaire de plus de 5 000 pièces jugées trop abîmées. À partir de ce transfert, qui permet d’exposer la quasi-totalité des collections, se pose le problème de leur sécurité. La mort de Laugier en 1901, laisse le cabinet sans véritable conservateur pendant près de trois quarts de siècle. L’année suivante, le 20 novembre 1902, en dépit des nombreuses mises en garde des responsables du Palais des Beaux-Arts à propos de la sécurité des collections, un cambriolage vient priver le médaillier, de manière irréparable, de ses pièces les plus rares.

Jamais aucune de ces pièces ne réapparut sur le marché numismatique, ce qui porte à penser qu’elles furent rapidement fondues. Certaines de ces pièces sont rarissimes, voire uniques : c’est le cas de l’écu d’or de Saint-Louis dont on ne connaît que 7 exemplaires, des augustales de Charles Ier ou du quadruple de Barberini, légat d’Avignon. Après une période assez terne, marquée par des achats peu abondants et souvent, faute de crédits, de qualité moyenne, le 25 septembre 1936, un second cambriolage appauvrit le médaillier : 168 pièces, toutes en or, sont dérobées. Devant ces vols successifs, la mairie se décide à acheter… un coffre-fort. Le dernier avatar de cette collection intervient en 1968, après le départ du conservateur et avant la prise de fonctions de son successeur. La bibliothèque et le Cabinet des Médailles doivent être déplacés. En attendant, un fonctionnaire zélé vide les placards contenant les monnaies pour les remplacer par le Journal Officiel. Il entasse les tiroirs remplis de pièces dans un couloir, sans protection. Elles y restent ainsi jusqu’à leur transport, d’abord à la Faculté des Sciences, puis aux nouvelles Archives où elles demeurent aujourd’hui.
L’atelier de restauration métallique créé en 2005 est un observatoire du comportement des collections monétaires. Il est destiné à restaurer les objets numismatiques (monnaies, médailles, jetons, outils…) des collections publiques françaises qui le désirent.