Après le courrier diffusé auprès des revendeurs par la Monnaie de Paris concernant les monnaies colorisées (à lire ici ), il a semblé intéressant à la rédaction de Monnaie Magazine de vous mettre à disposition cet article, qui bien que sorti de nos archives, est toujours d’actualité.
On peut se demander à qui appartiennent les pièces et les billets que l’on trouve dans sa poche et son porte-monnaie. Réponse évidente : à nous, bien sûr (sauf si on les a volés)… Et si ce n’était pas aussi évident que cela ?
En effet pièces et billets ne sont que des signes matériels représentant une valeur strictement fiduciaire, et en eux-même, ils ne valent, en réalité, que leur coût de fabrication. Monnaies et billets sont fabriqués par ou pour le compte des Etats. De ce fait, n’en sont-ils pas leur propriété ? Cette question n’est pas sans importance. En effet, selon la réponse, on peut se demander si on peut en toute tranquillité altérer, coloriser, plaquer ou détruire ces signes monétaires. Monnaie Magazine a décidé d’ouvrir le débat et d’essayer d’apporter une réponse légale à cette question.
UN DROIT RÉGALIEN MAJEUR
Le terme de « régalien » se rattache à tout ce qui concerne la souveraineté d’un pays. Les juristes ont limité ces droits régaliens à quatre fonctions majeures de l’Etat : police, justice, armée et monnaie. Si des penseurs libéraux ont pu contester que la monnaie en fasse partie, pour la majorité, le droit de battre monnaie est une fonction strictement dévolue à l’Etat. Et, de tous temps, ce droit majeur a été sauvegardé avec une extrême vigilance, à l’exemple des souverains français qui ont systématiquement combattu toute forme d’autonomie monétaire dans le royaume pour faire même peu à peu disparaître les émissions traditionnelles locales (Bretagne, Dauphiné…).
Ce monopole s’est encore accentué aux XIXe et XXe siècles. Mais qu’en est-il depuis le passage à l’Euro ? Comme le rappelle Maurice Allais, Prix Nobel d’économie : « pendant des siècles, l’Ancien Régime avait préservé jalousement le droit de l’Etat de battre monnaie et le privilège exclusif d’en garder le bénéfice. La république démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce privilège à des intérêts privés. Ce n’est pas le moindre paradoxe de notre époque ». Car, si les gouvernements ont conservé le droit de faire fabriquer leurs monnaies (ou billets) où bon leur semble, c’est bien la Banque Centrale Européenne qui en fixe les volumes de fabrication. On peut donc considérer qu’il s’agit là d’une brèche dans ce droit régalien majeur. Même s’il est précisé que les types des faces nationales des pièces françaises de monnaie libellées en euros destinées à la circulation sont fixés par arrêté du Ministre chargé de l’économie.
LOI DU 29 DÉCEMBRE 2010
Le Code Monétaire et Financier qui, entre autre, régit la fabrication des monnaies et des billets en France, a fait l’objet d’un important « toilettage » en 2010. Voici, à notre avis, les articles les plus importants.
Tout d’abord, la loi qui fixe le rôle de la Monnaie de Paris qui devient (Article L121-3) un établissement public de l’Etat à caractère industriel et commercial (EPIC) est chargée :
1 / A titre exclusif, de fabriquer pour le compte de l’Etat les pièces métalliques ayant cours légal et pouvoir libératoire destinées à la circulation en France.
2 / De fabriquer et commercialiser pour le compte de l’Etat les monnaies de collection françaises ayant cours légal et pouvoir libératoire.
3 / De lutter contre la contrefaçon des pièces métalliques et procéder à leur expertise et à leur contrôle.
4 / De fabriquer et commercialiser les instruments de marque, les poinçons métallique de garanties des matières d’or, d’argent et de platine, les monnaies métalliques courantes étrangères, les monnaies de collection étrangères ainsi que les décorations….
Cette loi comporte également un chapitre relatif aux infractions relatives à la monnaie (article R 162) qui réprime expressément et limitativement les cas suivants :
– Le fait d’accepter, de détenir ou d’utiliser tout signe monétaire non autorisé ayant pour objet de remplacer les pièces de monnaie ou les billets de banque ayant cours légal en France est réprimé conformément à l’article R. 642-2 du code pénal.
– Le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est réprimé conformément à l’article R. 642-3 du code pénal.
– Le fait d’utiliser comme support d’une publicité quelconque des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France ou émis par les institutions étrangères ou internationales habilitées à cette fin est réprimé conformément à l’article R. 642-4 du code pénal.
En bref, rien n’interdit explicitement une quelconque « altération » des monnaies que ce soit par placage ou par colorisation. Alors, pourquoi la rumeur publique entretient-elle une certaine méfiance à cet égard ?
ET LA LOI DE 1992 ?
En recherchant la législation relative aux monnaies, on a tendance à se référer aux derniers textes parus, en l’occurrence la loi de 2010 dont nous avons parlé ci-dessus, qui, comme on l’a vu, ne parle pas du tout de ce que certains s’obstinent à considérer comme une altération des monnaies. Par acquis de conscience, nous sommes remontés dans le temps pour aboutir à une précédente loi de 1992, beaucoup plus explicite en la matière. Car un article datant de 1810 du Code Pénal Français condamnait à une lourde amende et à de la prison toute personne se rendant coupable de destruction ou de mutilation de monnaie. Les articles 372 et 373 de la Loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 abrogent les deux textes fondamentaux suivants :
1 – Quiconque aura contrefait ou altéré les monnaies d’or ou d’argent ayant cours légal en France, ou participé à l’émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire français, sera puni de réclusion criminelle à perpétuité. Celui qui aura contrefait ou altéré des monnaies de billon ou de cuivre ayant cours légal en France, ou participé à l’émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire français, sera puni de réclusion criminelle à temps de dix à vingt ans. Celui qui aura contrefait ou altéré des monnaies d’or ou d’argent ayant eu cours légal en France, ou participé à l’émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire français, sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 2.000 à 200.000 Francs ou de l’une de ces deux peines seulement. La confiscation des monnaies contrefaites ou altérées visées au présent article sera prononcée, ainsi que celle des métaux trouvés en la possession des contrevenants et destinés à être employés à la contrefaçon ou à l’altération. La confiscation des machines, appareils ou instruments qui ont servi ou étaient destinés à servir à la fabrication desdites monnaies sera en outre prononcée, sauf lorsqu’ils ont été utilisés à l’insu de leur propriétaire. La confiscation entraîne remise à l’administration des monnaies ou médailles aux fins de destruction éventuelle des monnaies contrefaites ou altérées ainsi que de ceux des matériels qu’elle désigne.
2 – La contrefaçon ou l’altération de monnaies étrangères, d’effets de trésors étrangers, de billets de banque étrangers, l’émission, l’exposition, l’introduction dans un pays quelconque ou l’usage de telles monnaies, de tels effets ou billets contrefaits ou altérés seront punis comme s’il s’agissait de monnaies françaises, d’effets du Trésor ou de billets de banque français, selon les distinctions portées à la présente section. Toutefois, ceux qui, à l’étranger, se sont rendus coupables comme auteurs ou complices de tels crimes et délits ne pourront être poursuivis en France que dans les conditions prévues aux articles 689 et suivants du code de procédure pénale.
Mais surtout, elle abroge la loi 1810-02-16 promulguée le 26 février 1810 qui précisait expressément que :
– Sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans quiconque aura coloré les monnaies ayant cours légal en France ou les monnaies étrangères dans le but de tromper sur la nature du métal, ou les aura émises ou introduites sur le territoire français. Seront punis de la même peine ceux qui auront participé à l’émission ou à l’introduction des monnaies ainsi colorées.
Cette abrogation semble donc être passée complètement inaperçue !
En résumé, rien ne s’oppose à ce que les monnaies, en circulation ou non, puissent être plaquées ou colorisées, voire même écrasées, par des particuliers comme par des entreprises, pour en faire des objets de collection ou plus simplement des souvenirs.
2004 : PREMIÈRE PIÈCE DE CIRCULATION COLORISÉE AU MONDE

Le 21 octobre 2004, la Monnaie royale du Canada, de concert avec la Légion Royale canadienne, a dévoilé la première pièce de circulation colorée au monde. La pièce de 25 cents met en valeur le symbole du coquelicot, en hommage aux anciens combattants du Canada. On a révélé la pièce de monnaie à une cérémonie spéciale qui a eu lieu au Minto Armory à Winnipeg, au Manitoba. Cet endroit représente non seulement l’adresse des installations de production de la monnaie, mais également le lieu où on a fondé la Légion à Winnipeg, en 1925, ville où est d’ailleurs située Valour Road, la voie historique de la bravoure.
ET DANS LES AUTRES PAYS ?
De manière générale, si vous faites une recherche internet sur ce sujet, vous ne trouverez, et pour cause, que des réponses négatives. L’article 193 du Code Pénal du Rwanda précise ainsi clairement : sera puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de vingt mille à cent mille francs celui qui, frauduleusement, aura contrefait, coloré ou altéré des monnaies métalliques ayant cours légal au Rwanda ou à l’étranger, et celui qui aura introduit ou émis sur le territoire du Rwanda, des monnaies qu’il savait ainsi contrefaites, colorées ou altérées. L’ordonnance n° 16 du 9 juillet 1969 pour le Togo apporte la même rédaction mais précise que cette « coloration » doit avoir pour but de tromper sur la nature du métal. Et on retrouve des articles similaires pour l’Algérie, le Maroc ou les Comores.
LE CAS DES « ELONGATED PENNY »
Originaires des Etats-Unis, les « elongated penny », sont des pièces de monnaie (très souvent des « 1 cent » ou des « dîme »), passées entre deux rouleaux entraînés par une manivelle. L’un des rouleaux fait office de matrice et comporte une empreinte gravée en négatif dans l’acier. La pression extraordinaire appliquée par les rouleaux transforme la pièce de monnaie en un souvenir à la forme allongée caractéristique (d’où le nom « elongated penny ») comportant sur une face, le motif laissé par la matrice. Les « objets numismatiques » ainsi obtenu font l’objet de collections spécifiques et offrent un avantage particulier : le collectionneur, en introduisant sa propre pièce et en tournant la manivelle, devient un acteur à part entière de sa collection. Il est communément admis que les premiers cents pressés le furent à l’Exposition Universelle Colombienne de Chicago, Illinois en 1892-1893 qui célébrait le quadricentenaire de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb.
On en trouve, mais en quantité ultra confidentielle en France, mais plus facilement en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Pourquoi ? Parce que, précisément, on a oublié cette loi de 1992 et on est resté sur la réglementation antérieure qui mettait un sérieux frein à la diffusion sur le territoire national des machines mutilant les pièces de monnaie.
PEUT-ON BRÛLER UN BILLET DE BANQUE ?
Qui ne se souvient pas du célèbre épisode durant lequel Serge Gainsbourg a brûlé un billet de 500 francs en direct pendant l’émission 7/7 le 11 mars 1984 ? En détruisant ce billet, Gainsbourg souhaitait manifester son mécontentement face aux impôts trop lourds à son goût. La destruction de ce billet a évidemment provoqué de nombreuses réactions, Gainsbourg ayant attaqué un objet tabou, l’argent (bien que sa cible initiale n’était pas l’argent mais plutôt les impôts…). Dans le même esprit, mais moins médiatisé, le 3 mars 2011, dans la boîte à questions du Grand Journal sur Canal+, le tout juste césarisé Eric Elmosnino brûle un billet de banque en hommage à Serge… En revanche, le fait que, le 22 juillet 2010 la féministe suédoise Gudrun Schyman ait brulé 100.000 couronnes suédoise – 10 500 euros – pour dénoncer les écarts de salaire entre hommes et femmes était un peu passé inaperçu chez nous. Dirigeante du parti Feministisk Initiav (Initiative féministe) elle avait jeté mille billets de 100 couronnes au feu sur un barbecue devant un parterre de journalistes et de curieux réunis sur l’île de Gotland. “C’est l’un des plus grands scandales de notre démocratie : ni le Parlement, ni le gouvernement, ni les partenaires sociaux ne se battent vraiment pour l’égalité salariale, qui est un droit humain”, avait alors déclaré Mme Schyman. Mais pourquoi 100.000 couronnes ? Voici son explication : à emploi égal, une femme touche 4 700 couronnes de moins qu’un homme, soit, extrapolé à la population féminine suédoise, 70 milliards de couronnes par an, ou environ 100 000 couronnes par minute. « Détruire des billets n’est pas illégal », avait alors confirmé la Banque de Suède.