Il y a bientôt un an, le 26 avril 2022, la République du Centrafrique créait la surprise en adoptant le Bitcoin comme monnaie légale. Jusqu’à présent, seuls deux pays dans le monde ont officialisé l’utilisation d’une cryptomonnaie au côté de leur monnaie courante, le Centrafrique en 2022 et le Salvador en 2021, malheureusement avec une année de recul le bilan semble plus que mitigé et la population ne soutient pas l’initiative des deux ambitieux présidents.
Deux présidents “visionnaires”
Le président de la République du Centrafrique, Faustin Archange Touadera, entend faire de son pays un Etat précurseur dans le domaine des nouvelles technologies en Afrique. D’autres Etats, comme le Rwanda, le Ghana ou le Nigéria ont déjà investi dans le développement des nouveaux moyens d’information et de communication pour donner un nouvel élan à leurs économies respectives avec un certain succès. Leurs citoyens ont ainsi plus facilement accès à internet, aux téléphones portables et à des applications facilitant les paiements électroniques mais aucun de ces Etats n’a mis en place de cryptomonnaie officielle en raison des difficultés techniques et matérielles inhérentes à la mise en œuvre d’une telle politique financière inédite. Visiblement, le président Touadera, à la tête du deuxième pays le plus pauvre de la planète depuis 2016, ne s’est pas posé de genre de questions. A la manière d’Elon Musk, il avait fièrement annoncé en avril 2022, via un tweet, que le Bitcoin devenait la monnaie légale afin “d’ouvrir de nouvelles opportunités pour le pays” car “si les mathématiques sont le langage de l’univers, le Bitcoin est la monnaie universelle” ! Le pays étant riche en ressources, notamment en or et diamants, et donc en opportunités pour des investisseurs étrangers, il souhaitait créer les conditions favorables au développement économiques en éclipsant les nombreux problèmes auxquels est confronté le pays. De son côté, au Salvador, le très jeune président Nayib Bukele, peine à rassurer ses concitoyens plus d’un an après avoir lancé l’utilisation officielle du Bitcoin en septembre 2021. Alors âgé de 37 ans lorsqu’il est élu en 2019, il entendait bien moderniser son petit pays de manière spectaculaire en étant le premier chef d’Etat à miser sur les cryptomonnaies, mais la versatilité d’une telle monnaie spéculative est en train de coûter cher au pays. Ses dernières consignes sont mêmes claires après la récente chute de la valeur de la cryptomonnaie : “lorsque le bitcoin est à la baisse, il ne faut plus y toucher sinon on perd tout” !

Un pari ambitieux…
Le jeune président du Salvador enthousiasmé par l’envolée de la valeur du Bitcoin entre l’adoption de sa “Ley Bitcoin” en juin 2021, avec 45 000 dollars pour un bitcoin, et les 68 000 dollars atteints en novembre de la même année, envisageait alors de réinvestir les fabuleux bénéfices de son “placement” monétaire dans la construction d’une gigantesque “Bitcoin City” dotée d’une zone économique spéciale pour en faire le paradis des investisseurs avec des zones commerciales, des divertissements et des infrastructures de transport. La ville nouvelle devait même être alimentée en électricité par le volcan Conchagua, l’énergie géothermique devant répondre aux besoins énergétiques énormes du “minage de bitcoin”. Tous les utilisateurs convaincus des bienfaits des cryptomonnaies disposeraient alors du premier territoire souverain disposé à accueillir tout type d’investissement légal. Nayib Bukele était alors extrêmement fier de son pari ambitieux et ne tarissait pas d’éloge sur les avantages de sa politique monétaire. Il pensait ainsi réduire l’extrême dépendance du pays vis à vis des Etats-Unis, faciliter les transferts de fonds des trois millions d’émigrés qui renvoient au pays chaque année l’équivalent de 23% du PIB et encourager les habitants à payer leurs impôts en monnaie virtuelle alors que la majorité de la population vit de l’économie informelle. Libéral et conservateur convaincu, il protège également les quelques 160 millionnaires qui contrôlent 87% du PIB du pays en leur offrant la possibilité de ne pas payer d’impôts sur les plus-values réalisées en utilisant le Bitcoin. Il prétend pourtant lutter contre la criminalité et la corruption alors que tous les spécialistes s’accordent pour dire que 46% des transactions en cryptomonnaies concernent des activités criminelles. Un site d’investigation a d’ailleurs révélé qu’il avait lui-même passé des accords secrets avec les puissantes organisations criminelles internationales basées au Salvador, les fameuses “Maras”, pour réduire le nombre des assassinats en échanges d’assouplissements de la pression judiciaire. Le “dictateur le plus cool de la planète” comme il aime lui-même se surnommer, est aussi à l’origine d’une censure de la presse, de pressions policières sur ses opposants politiques et de l’arrestation des militants écologistes qui avaient obtenus la protection des sites naturels menacés par les activités minières. Son homologue le président centrafricain Touadera est tout aussi séduit par les perspectives de développement du Bitcoin mais lui aussi n’a pas hésité à faire appel à une milice privée criminelle, la milice Wagner, pour assurer sa protection et lutter contre ses opposants politiques en échange de concessions minières et d’un soutien diplomatique à la politique du président Poutine, ce qui lui a valu de s’attirer les foudres du gouvernement français qui a mis fin aux accords militaires et aux aides économiques au développement. Ces décisions monétaires et politiques pourraient bientôt coûter cher aux deux pays. Les promesses étaient pourtant nombreuses et séduisantes. En offrant une alternative au Franc CFA, le président affiche sa volonté d’indépendance qui séduit une partie de la population. Il souhaite également attirer de nouveaux investisseurs séduits par les richesses minières, les avantages fiscaux et les facilités de transferts d’argent. Tout comme au Salvador, il offre aux passionnés de cryptomonnaie une “île virtuelle” baptisée Sango où tous les investisseurs du métavers pourraient concrétiser certains projets. Ses ambitions vont jusqu’à promettre la création du premier “Crypto-Hub” légal au monde pour apparaître comme l’un des pays les plus modernes et avancés d’Afrique. Il souhaite offrir aux habitants, dont la quasi-totalité ne dispose d’aucun compte bancaire, la possibilité d’épargner, d’emprunter et de payer avec un moyen bancaire gratuit et indépendant des grands organismes financiers comme la banque centrale des Etats d’Afrique centrale qui gère le Franc CFA. Les utilisateurs sont d’ailleurs invités à installer une application et à disposer d’un code secret donnant accès à tous les avantages de l’utilisation de la cryptomonnaie. Pourtant, un an plus tard, cette application que presque personne n’a installé ne donne accès qu’à un diaporama de propagande très enthousiasmant mais sans contenu. Le président avait semble-t-il oublié qu’il était à la tête du deuxième pays le plus pauvre du monde !

…beaucoup trop risqué
En effet, les difficultés structurelles et contextuelles, les oppositions internes et externes et surtout les risques liés à l’utilisation d’une telle monnaie virtuelle sont autant de freins qui pourraient conduire à la catastrophe économique, sociale et politique dans les deux pays. Au Salvador, si près de 4 millions de Salvadoriens avait téléchargé l’application “chico wallet” permettant l’utilisation du Bitcoin, attirés par les 30 dollars offerts en prime par le gouvernement, aujourd’hui seulement 2% des transactions sont réalisées avec cette monnaie et l’immense majorité des habitants reste méfiante quant à l’utilisation de la cryptomonnaie. La chute vertigineuse de la valeur du bitcoin fin 2022 ne les encourage pas à lui faire confiance et le gouvernement salvadorien est bien obligé d’admettre une perte sèche de 375 millions de dollars dans les comptes publics avec une monnaie qui a perdu plus de la moitié de sa valeur en 1 an. Le FMI qui avait mis en garde le pays dès l’adoption de la loi en 2021 en affirmant que “compte tenu de la volatilité du Bitcoin, son utilisation en tant que monnaie officielle génèrerait des risques importants pour la protection des consommateurs, pour l’intégrité du système financier et pour la stabilité financière”, refuse aujourd’hui de débloquer une aide de 1,3 milliards de dollars qui ne servirait qu’à combler la dette publique qui dépasse les 80% du PIB. Au Centrafrique, la situation pourrait se révéler bien pire car aucune infrastructure ne permet l’utilisation effective du bitcoin dans un pays où plus de 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté malgré les richesses minières et le potentiel agricole sous-exploité. Seuls 3% des habitants ont accès à une électricité stabilisée indispensable pour des usages informatiques et il n’existe aucun réseau filaire permettant l’accès à internet et encore moins de 4G ou de 5G malgré les annonces très optimistes du président qui promet l’accès à la fibre optique dès 2023 ! L’immense majorité des Centrafricains ignorent d’ailleurs les usages de l’informatique, de l’internet et presque aucun n’est inscrit sur un réseau social. Les rares personnes disposant d’un smartphone ne font de toute façon pas confiance aux cryptomonnaies et craignent les arnaques et la disparition de leurs maigres économies. Les opérateurs internationaux comme le français Orange ou le chinois Huawei ne semblent pas plus pressés d’équiper le pays car ils craignent eux-mêmes pour la sécurité de leurs installations et n’y voient aucune perspective de développement du nombre d’utilisateurs. En résumé, seule une élite de fortunés vivant au cœur de la capitale, donc à proximité du gouvernement, pourraient éventuellement être séduits par l’utilisation du Bitcoin car les utilisateurs étrangers ne sont pas plus attirés par le pays. Certes, il y a d’importantes mines d’or, de diamants ou de cuivre mais la situation politique n’est pas favorable avec des pans entiers du territoire qui sont encore contrôlés par des groupes rebelles et une stabilité politique précaire assurée par un groupe de mercenaires russes visés par des sanctions internationales. Aucune organisation internationale n’a d’ailleurs soutenu cette initiative. La Banque centrale des Etats de l’Afrique centrale, responsable de l’émission des monnaies locales, les Francs CFA, condamne fermement cette décision qu’elle perçoit comme une concurrence et un risque d’instabilité financière pour toute la région. La France, qui soutient le pays depuis l’indépendance ne digère pas non plus cette ingérence étrangère et met un terme à la plupart de ses programmes de soutien économique. Le FMI et la Banque Mondiale souhaitent également bloquer leurs aides car elles craignent le détournement des fonds ou l’accaparement des aides par les politiciens corrompus et le fameux groupe Wagner. Cette décision monétaire apparait d’ailleurs de plus en plus comme une volonté “politique” de se détacher des anciens allies pour se tourner vers de nouveaux dont la Russie mais les marchés financiers et les grands investisseurs multimilliardaires comme Elon Musk qui jouent avec le Bitcoin à des fins spéculatives pourraient définitivement achever de ruiner le pays ou d’en faire un nouveau paradis fiscal pour toutes les activités illicites et criminelles de la planète !