par Serge Pelletier
L’année 2014 a marqué le début des célébrations de la Première Guerre mondiale, l’un des évènements les plus marquants du XXe siècle, et ce, sur de nombreux fronts.
Démographiquement, cette guerre laisse une saignée marquée dans les pays impliqués. Mais plus que les morts, ce sont les survivants blessés et mutilés, les « Gueules cassées » comme on les appelle alors, qui ont un impact important. En effet, les avancées de la médecine ont permis la survie d’un plus grand pourcentage de blessés par rapport aux guerres précédentes. Ces survivants ont nécessité l’instauration de programmes sociaux.
Politiquement, il semble que ce soit la démocratie qui ait triomphé puisque quatre empires autoritaires se sont écroulés à la suite de cette guerre : l’Empire allemand perd ses colonies et doit restituer 132 milliards de marks-or ; l’Empire austro-hongrois est démantelé et donne naissance à l’Autriche, à la Hongrie, à la Tchécoslovaquie et à la Yougoslavie ; l’Empire ottoman est réduit à la Turquie d’aujourd’hui ; l’Empire russe devient l’Union soviétique.
Le féminisme est grand gagnant, puisque les femmes ont, au cours de la guerre, acquis une place nouvelle dans la société, car elles ont dû remplacer les hommes pour la survie des labours, des usines, des bureaux et des écoles. C’est après la guerre qu’elles obtiennent le droit de vote au Royaume-Uni, en Allemagne, aux États-Unis et en Russie.
RAPPEL HISTORIQUE
Le catalyseur de la Grande Guerre, la Guerre des Guerres, est sans l’ombre d’un doute l’assassinat à Sarajevo, le 28 juin 1914, de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, héritier du trône austro-hongrois, et de son épouse la duchesse de Hohenberg, Sophie Chotek, par Gavrilo Princip, un anarchiste serbe. C’est en effet après cet assassinat que l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie le 28 juillet suivant.
Deux jours plus tard, les Russes, alliés des Serbes, se mobilisent. Le lendemain, l’Allemagne, alliée de l’Autriche-Hongrie, adresse deux ultimatums, un à la Russie, lui demandant de cesser sa mobilisation et de ne pas intervenir, l’autre à la France, alliée de la Russie. Comme suite à la fin de non-recevoir russe, l’Allemagne se mobilise le 1août et déclare la guerre à la Russie. La France se mobilise le lendemain, alors que l’Allemagne attaque le Luxembourg et demande à la Belgique le libre passage de ses troupes. L’Allemagne signe une alliance avec l’Empire ottoman contre la Russie. L’Italie, alors alliée de l’Allemagne, déclare qu’elle restera neutre.
Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la Belgique, qui a refusé sa requête, et à la France. Le Royaume-Uni déclare qu’il soutiendra la neutralité belge. Le lendemain, l’Allemagne attaque la Belgique, ce qui entraîne la déclaration de la guerre à cette dernière par le Royaume-Uni, et qui implique automatiquement l’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada, l’Inde et la Nouvelle- Zélande. Ce soir-là, l’Allemagne est donc en guerre contre dix pays pour soutenir son allié austro-hongrois. L’Empire austro-hongrois, lui, n’est en guerre qu’avec la Serbie (et celle-ci n’est pas en guerre contre l’Allemagne). Pour tout remettre en place, l’Empire austro-hongrois déclare la guerre à l’Empire russe et la Serbie à l’Allemagne, le 6 août. Le 11 du mois, la France déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie. Le Royaume-Uni en fait autant le 13. Enfin, le Japon déclare la guerre à l’Empire allemand le 23 août.
Voilà pourquoi, bien que les combats se soient principalement passés en Europe de 1914 à 1918, la Première Guerre Mondiale devient le premier conflit d’ordre planétaire. Les deux camps qui s’affrontent sont, en 1918, l’Entente (qui regroupe l’Aden, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Belgique, la Birmanie, le Brésil, le Canada, la Chine, Cuba, l’Égypte, les États-Unis, la France, la Grèce, le Guatemala, Haïti, l’Honduras, Hong Kong, l’Inde, l’Italie, le Japon, le Kenya, le Libéria, le Luxembourg, le Monténégro, le Nicaragua, le Nigéria, la Nouvelle- Zélande, Oman, les Pays-Bas, le Portugal, la Rhodésie, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, le Salvador, la Serbie, le Siam, Singapour et le Soudan britannico-égyptien) et l’Alliance (qui regroupe l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie et l’Empire ottoman).
Cette guerre brutale fait plus de 9 millions de morts et plus de 23 millions de blessés de parts et d’autres. La France a été, proportionnellement, le pays le plus touché : 1,4 million de tués et disparus, soit 10 % de sa population masculine active. Comment traduire cette guerre en thème de collection ?
LES CAMPS
Une première approche, la plus historique, est celle d’assembler une collection de monnaies des deux camps, c’est-à-dire des pays participants, de préférence millésimées 1914 ou, à tout le moins, de 1914 à 1918.
Dans cette collection constituée à titre d’exemple pour représenter l’Alliance, une pièce d’argent de 1 mark millésimée 1914 incarne l’Empire allemand. Celle-ci est ornée, à l’avers, de l’aigle impériale allemande et, au revers, de la simple valeur nominale, en deux lignes, au centre d’une couronne de feuilles de chêne. Le buste de l’empereur Guillaume II, le petit-fils ainé de la reine Victoria d’Angleterre, n’est sur aucune pièce, mais on le trouve sur de nombreuses médailles émises pour la Première Guerre Mondiale.
Deux pièces sont émises par l’Empire austro-hongrois, car des monnaies autrichiennes et hongroises sont frappées.
Pour l’Autriche, une pièce en or de 100 couronnes millésimée 1914 dont l’avers est orné d’un buste de l’empereur François-Joseph Ier, à droite, tête nue. Le revers montre les armoiries de l’empereur, soit une aigle bicéphale couronnée tenant une épée dans sa patte droite et un globe dans sa patte gauche, et ornée d’un écu au poitrail.
La pièce hongroise, une pièce en argent de 2 couronnes millésimée 1914, est aussi ornée d’un buste de l’empereur, à droite, mais celui-ci porte une couronne de laurier. Le revers montre la valeur nominale, au centre en deux lignes, surmontée de la Sainte Couronne hongroise (aussi appelée Couronne de Saint Étienne) tenue par deux anges. On reconnaît cette couronne à sa croix inclinée. Cette couronne aurait été offerte au duc Étienne par le pape Sylvestre II pour la constitution du royaume apostolique. Étienne Ier fut couronné à Noël 1000 (ou, selon certaines sources, janvier 1001) et devint le premier roi de Hongrie. Il est canonisé par le pape Grégoire VII en 1083. L’inclinaison de la croix serait survenue au XVIIe siècle. Comme ceci donne un caractère unique à la couronne, elle n’a jamais été redressée.
Une pièce en or de 4 ducats millésimée 1914 représente la Bulgarie. Elle montre un buste du tsar Ferdinand Ier à droite, à l’avers, et ses armoiries au revers. Ferdinand est élu prince régnant de Bulgarie en 1887, alors que la Bulgarie est vassale de l’Empire ottoman. Il n’était toutefois pas le premier choix et son accession est accueillie avec surprise. La reine Victoria d’Angleterre, cousine immédiate de son père, dit même : « Il est complètement inapte… délicat, excentrique et efféminé… [il] Devrait être arrêté sur-le-champ ».
Les relations avec la Russie ayant été moins qu’amicales, il renoue les liens avec celle-ci avant la fin du siècle. Des troubles dans l’Empire ottoman lui permettent de rompre les liens de soumission et il se proclame tsar des Bulgares en 1908.
Mais la Deuxième Guerre Balkanique, en 1913, provoque la rupture de l’alliance avec la Russie. Ferdinand adopte alors une politique progermanique, d’où l’alignement de la Bulgarie lors de la Première Guerre Mondiale.
Enfin, c’est une pièce en or de 500 piastres millésimée de la sixième année de règne de Mehmed V (1914) qui prend place dans cette collection au nom de l’Empire ottoman. Comme toute pièce musulmane, elle ne porte pas de représentation humaine.
On peut adopter la même approche pour les pays de l’Entente qui sont beaucoup plus nombreux.
LES BATAILLES ET CAMPAGNES
Une autre approche est celle de collectionner les monnaies commémoratives liées à ce conflit.
Un exemple est la pièce française de 2 francs 1997 qui rend hommage à Georges Guynemer, as de l’aviation pendant ce conflit.
L’Australie offre quelques monnaies de ce genre, dont, entre autres, deux pièces en argent de 1 dollar frappées par l’atelier de Perth en 2011. La première souligne la campagne de Gallipoli (aussi appelée campagne des Dardanelles) en 1915. Elle montre un soldat australien, à gauche, et une image du débarquement du 25 avril, à droite, sous laquelle se trouvent le nom de la campagne, l’année de celle-ci (1915) ainsi que le ruban (en couleur) de la médaille militaire décernée aux Australiens et Néo-Zélandais.
Bien que le vainqueur ait été l’Empire Ottoman, cette campagne est considérée par l’Australie et la Nouvelle-Zélande comme étant le « baptême par le feu » des deux pays (qui se battaient pour la première fois sous le commandant d’officiers de leur pays plutôt que des Anglais) et la naissance de l’identité australienne et de l’identité néo-zélandaise. Depuis, le 25 avril est connu sous le nom d’ANZAC Day, équivalent du jour du Souvenir.
La seconde pièce souligne la bataille du Jutland, qui s’est tenue le 31 mai 1916, l’une des batailles navales les plus importantes de l’histoire impliquant 250 navires. Le revers de la pièce est orné de deux représentations du HMS Iron Duke, le navire amiral de la flotte britannique à cette bataille : l’une en relief, l’autre une image couleur (en arrière-plan).
Le Canada a aussi commémoré plusieurs batailles de la Première Guerre Mondiale. La plus importante d’entre elles est la bataille de la crête de Vimy, car elle est aux Canadiens ce que la campagne de Gallipoli est aux Australiens et Néo-Zélandais. C’est d’ailleurs pourquoi le Mémorial de Vimy, monument canadien qui honore la mémoire des soldats de ce pays morts en France pendant la Première Guerre Mondiale, orne le dos du nouveau billet de 20 dollars. On le trouve également sur les pièces de collection de 5 cents, en argent, émise en 2002 et de 30 dollars, également en argent, émise en 2007.
Une autre pièce en argent de 30 dollars, celle-ci millésimée 2006, montre le Mémorial terre-neuvien de Beaumont- Hamel, soit un caribou debout sur un rocher. Cette représentation a été choisie parce qu’un caribou est l’emblème principal de l’insigne du Royal Newfoundland Regiment, le régiment d’infanterie qui a perdu 75 % de ses effectifs (670 morts ou blessés) lors de la bataille à cet endroit le 1er juillet 1916. A l’époque, Terre-Neuve était un dominion britannique à part entière (elle a joint la Confédération canadienne en 1949).
Enfin, la première pièce en argent de 30 dollars de cette collection, millésimée 2005, montre trois soldats de la Première Guerre Mondiale issus de la statue La réponse, qui orne le Monument commémoratif de guerre du Canada situé dans la capitale canadienne, Ottawa. Originellement construit pour commémorer la Première Guerre Mondiale, il a été dédié à tous les soldats morts pendant la Deuxième Guerre Mondiale, la guerre de Corée et en mission depuis. On trouve le monument entier sur la pièce canadienne courante de 1 dollar millésimée 1994. Ce monument est d’ailleurs au coeur des célébrations nationales du jour du Souvenir.
L’ARMISTICE, LE JOUR DU SOUVENIR ET L’ANZAC DAY
Le jour du Souvenir, l’Armistice et l’ANZAC Day ont été soulignés, au Canada et en Australie, sur de nombreuses pièces.
C’est le Canada qui lance cette façon de rendre hommage à ses militaires à l’occasion du jour du Souvenir en 2004 (année qui marque le 60e anniversaire du Débarquement de Normandie) avec l’émission d’une pièce commémorative de circulation de 25 cents. Le revers de celle-ci est orné d’une feuille d’érable sur laquelle un coquelicot rouge a été peint. C’est la première pièce de circulation de production massive à être ainsi peinte. D’autres pièces ornées de coquelicots sont émises en 2008 et 2010.
L’ANZAC Day est une journée très importante pour les Australiens. Depuis 2009, l’atelier de Perth frappe une pièce commémorative de 1 dollar qui rend hommage à tous les membres des forces armées australiennes. La pièce de 2010, par exemple, rend hommage à la Royal Australian Navy en montrant le HMAS Parrametta et un marin de la Première Guerre Mondiale.
LE CENTENAIRE
Compte tenu de l’importance historique de la Première Guerre Mondiale, il n’est pas surprenant d’apprendre que deux pays ont déjà annoncé l’émission de pièces pour souligner son centenaire.
Le Royaume-Uni émet une pièce commémorative de circulation de 2 livres qui reprend l’iconographie d’une affiche célèbre intitulée YOUR COUNTRY NEEDS YOU (Votre pays a besoin de vous). Initialement publiée sur la page couverture de l’édition du 5 septembre 1914 du London Opinion, un magazine influent de l’époque, elle montre lord Kitchener, secrétaire d’État à la Guerre du Royaume-Uni, pointant vers l’observateur, et le slogan YOUR COUNTRY NEEDS YOU. La légende THE FIRST WORLD WAR 1914-1918 (La Première Guerre Mondiale 1914-1918) au haut de la couronne de cette pièce bimétallique de 8 h à 4 h, et le millésime au bas à 6 h. La Monnaie Britannique a clairement indiqué qu’il s’agit d’une première pièce commémorative sur le sujet.
La Monnaie Royale Canadienne, quant à elle, a consacré sa pièce de 1 dollar en argent annuelle (pièce de collection) au centenaire. Le revers, réalisé par Bonnie Ross, montre un couple faisant ses adieux sur le quai avant l’embarquement du militaire sur le train qui l’amènera au camp de Valcartier (près de la Ville de Québec), avec, en arrière-plan, d’autres militaires et le train. Ce couple a été enluminé d’or sur la version de cette pièce comprise dans l’ensemble belle épreuve.
Ces deux pièces sont sans doute les précurseurs de nombreuses autres.