En Afrique, avec la décolonisation, des espaces monétaires plus ou moins cohérents se sont constitués, sur les ruines des anciens empires coloniaux. Car, en dépit de leur accession à l’indépendance, la plupart des nouveaux Etats ont choisi de rester unis au sein d’unions monétaires homogènes dont deux d’entre elles étaient intimement liées au franc français et soutenues par le Trésor Public. Avec l’apparition de l’Euro, elles auraient pu éclater. Ce qui ne s’est pas produit car le traité de Maastricht leur a conféré une parité monétaire avec l’Euro. Et, loin de s’affaiblir, ces unions monétaires ont même tendance à s’étoffer avec l’apparition d’une nouvelle union en fin d’année 2013.
L’APPARITION DU FRANC CFA

S’il est créé en 1939 (date d’apparition du nom de « Zone Franc »), juste avant la Seconde Guerre Mondiale, ce n’est que le 26 décembre 1945 que naît le Franc des « Colonies Françaises d’Afrique » (CFA), après la ratification par la France du Traité de Bretton Woods. Ses coupures vont être émises par la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer (CCFOM) remplacée le 20 janvier 1955 par l’Institut d’Emission de l’Afrique Equatoriale Française et du Cameroun (IEAEFC). Il affirme la volonté de rétablir l’autorité monétaire française et normaliser des émissions monétaires très variées sur des territoires qui ont, en grande partie, échappé pendant cette période, à l’autorité de la métropole. Le système utilisé est très simple : même si les visuels des pièces ou billets émis peuvent être différents, la parité est partout la même, un franc CFA équivaut à 2 centimes français. Il faut donc 50 francs CFA pour faire 1 franc français. Cette union monétaire va jouer un rôle exceptionnellement stabilisateur et tuer dans l’oeuf les tentatives d’avoir recours à la « Planche à Billet ». En revanche, il pérennise une dépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole coloniale. Cet acronyme, s’il reste le même, va voir son contenu évoluer. De franc des « Colonies françaises d’Afrique » on va passer à « Communauté Financière Africaine » puis à « Coopération Financière Africaine ».
Les mécanismes de la coopération monétaire entre la France et les Etats de la zone Franc sont basés sur quatre principes fondamentaux : la garantie de convertibilité, la fixité des parités, la libre transférabilité et la centralisation des réserves de change (50 % des réserves des deux banques centrales sont inscrites dans les écritures du Trésor Français).

Deux zones vont particulièrement se distinguer. Huit Etats de l’ouest se regroupent autour de la BCEAO (Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest) : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo. Six autres autour de la BEAC (Banque des Etats d’Afrique Centrale, créée en 1972) : Cameroun, République centrafricaine, République du Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad. En revanche, même si le nom de la devise est le même, il ne s’agit pas de deux zones monétaires communes mais plutôt juxtaposées. L’abréviation du franc CFA de la BCEAO est XOF, celui de la BEAC est XAF. Les devises ne sont ni interchangeables ni convertibles entre elles. Pourtant, depuis 2012, des négociations sont en cours pour établir une réelle parité.
En 1958, le sens de CFA devient franc de la « Communauté française d’Afrique ». Par moment, certains considèrent idéologiquement, que cette dépendance est trop pesante. Ainsi, en 1962, le Mali quitte l’Union… pour la réintégrer en 1984, sa liberté monétaire étant surtout celle de faire faillite…
UEMOA ET CEMAC

C’est le 10 janvier 1994, suite au traité de Dakar que naît l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Elle entre en vigueur après sa ratification par les différents États le 1er août 1994. Elle réunit 7 pays d’Afrique de l’Ouest ayant en commun une même monnaie : le Franc CFA : Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal. En 1997, la Guinée-Bissau vient les rejoindre. Si son ambition est très large (union douanière, politique agricole, développement…), c’est l’aspect strictement monétaire qui nous intéresse. L’Institut d’Emission est la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), implantée à Dakar (Sénégal).
La CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale) est également créée en 1994, par le traité de Ndjaména (Tchad) du 16 mars ratifié par tous les Etats participants en juin 1999. Elle regroupe donc le Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad. Ses objectifs sont les mêmes que ceux de l’UEMOA.
Notez que ce changement de statut correspond aussi à un changement de parité puisque le franc CFA perd alors 50 %, passant de 2 centimes de franc français à 1 centime. Si bien que, au 1er Janvier 1999, lors de son arrimage à l’Euro, il va recevoir la parité fixe de 655,957 francs CFA pour 1 Euro.
BILLETS ET PIÈCES

La fabrication des signes monétaires de ces deux banques est réalisée par la Monnaie de Paris pour les monnaies et la Banque de France pour les billets. Pour la BEAC, la série actuelle de pièces date de 2006 et celle de billets de 2002. Cet établissement a, en fait, pris l’habitude de renouveler ses coupures tous les 10 ans. La gamme de billets mise en circulation en 2002 correspondait à une double volonté : réduire la taille des coupures pour des raisons d’économie et s’adapter aux standards européens d’émission pour des raisons de sécurité. On trouve ainsi 5 types de billets de 500 (enfant), 1000 (adolescent), 2000 (jeune femme), 5000 (homme mûr) et 10.000 francs CFA (femme adulte) et 8 types de pièces de 1, 2, 5, 10, 25, 50, 100 et 500 francs CFA. Toutes ces pièces portent le même visuel de revers : une panier de fruits tropicaux. En 2012, à l’occasion du 40e anniversaire de la BEAC, une exposition rétrospective de ses billets de banque a eu lieu. Les billets de 500 et 1000 francs font l’objet d’une très vive critique du public qui les accuse de ne pas résister plus de 6 mois aux conditions de circulation. Ceci s’est d’ailleurs renforcé en décembre 2013 avec la rumeur de rupture de stock de ces deux coupures, ce qui influe très négativement sur l’économie du pays.

Cette fabrication de monnaie métallique de 2006 a été d’une ampleur exceptionnelle puisqu’elle a porté sur 1,25 milliards de pièces de circulation courante, suite à un accord signé le 26 mai 2005 entre le Gouverneur de la Banque Centrale et le représentant du Ministère des Finances français, agissant pour le compte de la Monnaie de Paris. Son objectif était triple : vaincre la pénurie endémique de petite monnaie, lutter contre les contrefaçons et redonner un nouveau dynamisme aux visuels monétaires.
Pour la BCEAO, les émissions de pièces et de billets portent le logo de la banque, à savoir une représentation traditionnelle de poisson-scie, symbole de fécondité et de prospérité dans les mythologies africaines. Les pièces métalliques ont les valeurs faciales suivantes : 1, 5, 10, 25, 50, 100, 200, 250 et 500 francs. Pour les billets, depuis novembre 2012 circule une coupure de 500 francs (hippopotame). En 2003 ont été émis de nouveaux billets de 1000 (santé), 2000 (mérou), 5000 (antilope) et 10.000 francs CFA (touraco, oiseau des forêts).
UNE NOUVELLE UNION MONÉTAIRE

Fin 2013, 5 pays d’Afrique de l’Est lancent une nouvelle union monétaire. Le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et le Rwanda ont signé le 30 novembre à Kampala un protocole d’accord instaurant une union monétaire entre leurs pays, préalable à la création d’une monnaie unique. Ces cinq pays d’Afrique de l’Est, réunis au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), sont engagés depuis plusieurs années dans la construction d’un marché unique qui, sur le modèle de l’Union Européenne (UE), rassemblerait quelque 135 millions de citoyens, mais il peine encore à se concrétiser.
Outre le principe de l’union monétaire, entériné à l’occasion d’un sommet des chefs d’Etat de l’EAC, ce marché unique porte sur une union douanière, censée voir le jour dès 2014, et vise à instituer une libre circulation de la main d’oeuvre, des marchandises, des services et des capitaux entre les cinq pays. Ce protocole a été signé par les présidents kényan Uhuru Kenyatta et ses homologues rwandais Paul Kagame, burundais Pierre Nkurunziza, tanzanien Jakaya Kikwete, dont le pays vient de prendre la présidence tournante de l’EAC, et ougandais Yoweri Museveni.

L’avènement d’une monnaie unique, qui, sur le modèle de l’UE, s’accompagnera de critères macro-économiques à respecter, notamment en termes de contrôle de l’inflation, ainsi que de la mise en place d’une Banque centrale est-africaine, devrait cependant encore prendre plusieurs années : l’EAC table sur une décennie. Le but de cette union monétaire est de donner un coup de fouet au commerce régional et aux investissements étrangers. Outre l’objectif d’intégration, l’union monétaire devrait éliminer les coûts liés à l’utilisation de plusieurs monnaies, réduire les coûts de transaction. Si le protocole d’accord réserve à plus tard le choix du nom de cette nouvelle unité monétaire, c’est le nom de « Shilling » qui semble tenir la corde. En souvenir peut-être de l’East African shilling, monnaie qui avait cours depuis les années 20 dans de nombreux pays de la région. Mais, à ce stade, de nombreuses inconnues subsistent : typologie des émissions, lieux de fabrication des pièces et billets…
Néanmoins, la signature de ce protocole d’accord intervient alors que l’EAC est secouée depuis plusieurs mois par d’importantes tensions internes. La Tanzanie et le Burundi ont notamment ouvertement reproché aux trois autres pays de faire cavaliers seuls, en adoptant, sans eux, toute une série de projets d’infrastructures, notamment ferroviaires et pétrolières.
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UN MUSÉE POUR LA BCEAO
Le 13 mai 2002, le président sénégalais a inauguré le musée de la BCEAO à Dakar. Il occupe une vaste pièce à l’intérieur de la banque, héritière de la Banque du Sénégal, dont une photo, datée de 1853, figure en bonne place. On passera volontiers sur les somptueuses médailles en or figurant les sièges de 8 agences de la BCEAO ou les 6 chefs d’Etat africains qui, en 1979, ont participé à l’inauguration de son siège. La zone consacrée aux anciens moyens de paiement est plus intéressante : poids Akans à peser l’or, cauris… ou premiers billets de la Banque du Sénégal, unifaces de 1855 à 1901, puis bifaces et polychromes, avec double inscriptions, en français et en Ajami (langue locale). Les billets imprimés en 1942 aux Etats Unis (5, 100, 500 et 1000 F) ou la coupure de 50 francs réalisée par l’imprimerie du Ruisseau, en Algérie, sont autant de témoignages de cette époque troublée de la Seconde Guerre Mondiale. Viendront ensuite, jusqu’en 1955, les émissions de la BAO, de l’IEAOFT jusqu’en 1962, puis de la BCEAO.
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DES COUPURES TRES CONTREFAITES

Les saisies de billets libellés en franc CFA sont très nombreuses. Pour exemple, en août 2013, 1040 faux billets de 5.000 francs et 952 de 10 .000 francs étaient ainsi découverts par les Douanes du Burkina Faso. Plusieurs raisons y président. Tout d’abord, en dépit de caractéristiques techniques rigoureuses, cette circulation de contrefaçons est facilitée par la méconnaissance totale du public des signes de sécurité qui y figurent. D’autre part, ces signes monétaires circulent dans un grand nombre de pays et, avec les nouvelles technologies, sont aisément imitables. Cet usage à grande échelle de la contrefaçon risque de menacer le système financier et économique des pays membres, mais peut aussi contribuer à accentuer l’inflation.