La Serbie tente aujourd’hui de redorer son image salie par les atrocités commises par les ultranationalistes lors des guerres qui ont succédé à l’éclatement de la Yougoslavie. Cette vieille nation, qui s’est longtemps battue pour son indépendance, a suscité un véritable courant de sympathie de la part des Occidentaux qui la considéraient comme un véritable modèle dans les Balkans réputés barbares jusqu’au début du XXe siècle. Sa monnaie, le dinar, a donc traversé toutes les péripéties depuis le Moyen Age ce qui en fait l’une des plus vieilles monnaies d’Europe. Désormais, la Serbie s’attache à redresser son économie et les spécialistes la désignent parfois comme le « Tigre des Balkans » en référence aux Tigres d’Asie.
L’ORIGINE DES SERBES

La région des Balkans devenue aujourd’hui la Serbie a connu de nombreux peuplements avant que les Slaves serbes n’y fondent un royaume. Les Illyriens, les Daces, les Celtes puis les Romains ont occupés tour à tour la vallée du Danube et fondé de nombreuses cités dont certaines comme Felix Romuliana sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Lors du partage de l’Empire romain en 395, la région est intégrée à la partie orientale qui devient bientôt l’Empire byzantin. Elle n’échappe cependant pas aux invasions des Huns, des Gépides, des Ostrogoths ou des Avars qui remontent la vallée fluviale pour piller les derniers vestiges de l’Empire romain. C’est à cette occasion que l’empereur byzantin Héraclius fait appel aux Slaves du Nord, ancêtres des Serbes, pour refouler les Avars au VIIe siècle. Disposant d’une armée bien organisée, ils parviennent à chasser les Avars puis à dominer rapidement les autres peuples de la région. Un prince Serbe, Viseslav, parvient même à faire reconnaître son autonomie auprès des deux plus puissants souverains de l’époque, Charlemagne à l’Ouest et l’empereur byzantin à l’Est.
C’est aussi à cette époque que les Serbes adoptent la foi chrétienne diffusée par les frères Cyrille et Méthode. Ils adoptent également les traditions monétaires dominantes qui sont celles du denier d’argent et du solidus d’or. Les territoires serbes sont malheureusement dévastés par les Bulgares et les Hongrois au Xe siècles et Byzance reprend le contrôle de la région jusqu’à la révolte serbe de 1037 qui permet à Stefan Vojislav puis à son fils Mihailo, d’échapper à la souveraineté byzantine et de faire naître le royaume de Serbie avec l’appui du pape Grégoire VII en 1077. L’indépendance de la Serbie est reconnue en 1185 et Stefan Nemanjic est le premier souverain à émettre une monnaie souveraine au nom du royaume de Serbie en 1217. Ce dernier n’a régné que 10 ans mais son « dinar serbe » est considéré comme l’ancêtre de la plus ancienne monnaie encore en circulation avec la livre sterling.
Ces pièces, exclusivement en argent, sont inspirées des nouvelles monnaies fortes vénitiennes, les grosso, mises en circulation grâce à l’accumulation d’argent dans la cité pour financer le transport des Croisés. Cette monnaie frappée au nom des souverains serbes continue de circuler jusqu’aux invasions turques ottomanes au XIVe siècle. En effet, après quelques victoires permettant de repousser provisoirement les Turcs, les Serbes sont finalement vaincus à la bataille de Kosovo Polje en 1389. Les principautés serbes sont peu à peu obligées de reconnaître la souveraineté ottomane jusqu’à leur annexion définitive en 1459. La Serbie est ainsi soumise à l’occupation ottomane jusqu’au XIXe siècle.
Le dinar a continué de circuler, frappé dans des ateliers contrôlés par les Turcs dont celui de Belgrade, au côté d’une monnaie typiquement ottomane, le « para », une petite monnaie d’argent d’origine perse copiée par les Turcs. Durant cette longue période, beaucoup de Serbes souhaitant échapper à la pression des Musulmans qui parviennent à convertir les Albanais et les Bosniaques, préfèrent se réfugier sur les terres mises à leur disposition par l’empereur du Saint Empire Romain au Nord de Belgrade, à charge pour eux de défendre cette frontière Sud de l’empire. Les Serbes sont alors bientôt plus nombreux au Nord, en Voïvodine ou Krajina que dans leurs terres d’origines du Sud, et notamment du Kosovo, bien intégrées à l’Empire ottoman. Les monnaies occidentales, mieux côtées que les monnaies ottomanes, s’imposent également progressivement dans la région et on en compte près de 40 en circulation au début du XIXe siècle.
LA RENAISSANCE DE LA SERBIE

La première révolte des Serbes se produit en 1804 sous la direction de Djordje Petrovic surnommé « kara Djordje » qui fonde la dynastie des Karadordevic en se faisant élire prince héréditaire de Serbie, mais il est finalement vaincu par les Turcs en 1813. En 1815, une seconde révolution, menée par un éleveur de porc illettré, aboutie à l’autonomie de la Serbie, le nouveau meneur, Miloch Obrenovitch fonde à son tour sa propre dynastie, les Obrenovic, en 1818. Les deux familles princières se mènent alors une querelle incessante tout au long du XIXe siècle. Les Obrenovic parviennent cependant à chasser les dernières garnisons turques en 1867.
Le prince Mihailo Obrenovic est alors le premier à relancer la frappe des dinars serbes pour remplacer toutes les monnaies turques et étrangères en circulation dans ses provinces. Ce sont d’abord des monnaies de bronze en 1868 puis les fameux dinars d’argent sont frappés en 1875 avant que les premiers billets puis des monnaies d’or ne fassent leur apparition respectivement en 1876 et en 1879. Entre temps il parvient à faire reconnaître sa souveraineté et l’indépendance de la Serbie auprès de toutes les puissances européennes lors du congrès de Berlin de 1878.
Les pièces d’or les plus connues de cette époque sont celles émises à l’occasion du couronnement du roi Milan Ier en 1882, repabtisées « milandor » en référence au nom donné par les Français qui admirent alors la renaissance serbe dans les Balkans. Les monnaies serbes s’alignent d’ailleurs sur les références de l’union monétaire latine qui fonctionnera de 1865 à 1914 avant d’être dissoute en 1927. Ainsi, de 1873 à 1894, le dinar est équivalent au Franc républicain.
En 1903, les Karadordevic prennent finalement leur revanche en renversant les Obrenovic et en faisant couronner Pierre Ier de Serbie, un souverain libéral souhaitant s’inspirer de la monarchie constitutionnelle anglaise pour démocratiser son pays. La Serbie devient alors le pays le plus moderne et le berceau de la démocratie dans les Balkans avec des écoles publiques, la liberté de la presse, la liberté d’opinion, des lois sociales et des syndicats. Les démocraties occidentales soutiennent alors le peuple serbe contre la pression de ses puissants voisins et notamment lors des guerres balkaniques contre l’Empire ottoman puis la Bulgarie de 1912 à 1913.
Malheureusement, le 28 juin 1914, un étudiant serbe de Bosnie déclenche la Première Guerre Mondiale en assassinant François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche Hongrie à Sarajevo. Malgré l’appui de la Russie, de la France et de l’Angleterre, le royaume est envahi dès 1915 et l’armée serbe se replie en Grèce. Elle y reçoit le soutien d’un corps expéditionnaire français qui parvient à reconquérir la région en 1918. Les territoires slaves libérés forment alors un nouveau royaume, celui des Serbes, des Croates et des Slovènes. L’unité du nouveau pays est notamment symbolisée par l’introduction d’une nouvelle monnaie, le dinar yougoslave, qui remplace le dinar serbe ainsi que la couronne austro-hongroise et toutes les monnaies d’occupation comme le mark ou le lev en 1920. Les premières monnaies sont des billets sur-imprimés jusqu’à ce que les ateliers soient en mesure de frapper et d’imprimer la nouvelle monnaie au nom du roi Alexandre Ier en 1922.
Le nouvel Etat, rebaptisé royaume de Yougoslavie en 1929, est éphémère car malgré sa neutralité durant le second conflit mondial, il est envahi par les troupes allemandes souhaitant venir en aide aux Italiens enlisés dans le conflit contre les Grecs en Albanie en 1941. Le jeune souverain Pierre II est contraint de se réfugier à Londres en mars 1941 et deux importants mouvements de résistance s’organisent en Serbie pour lutter contre les forces de l’Axe et le régime militaire collaborateur mis en place par les Allemands. D’un côté les nationalistes royalistes tchetniks du général Mihailovic et de l’autre les partisans communistes du Croate Josip Broz Tito.

Le royaume est par ailleurs divisé par l’occupant pour mieux lutter contre cette résistance. Un gouvernement croate est mis en place en Croatie avec sa monnaie, la kuna tandis que le lev bulgare, la lire italienne, le lek albanais ou le pengo hongrois remplacent le dinar yougoslave dans les zones d’occupation correspondantes. Le reichsmark s’impose même en Slovénie considérée comme une région germanique. En Serbie, le dinar serbe remplace le dinar yougoslave avec un taux de change fixe face au reichsmark, de 250 pour 1.
Le pays est libéré par les résistants en 1944, avant même que les troupes soviétiques n’arrivent dans la région. Les communistes de Tito, mieux organisés et financés par l’Angleterre, sont les principaux artisans de cette victoire mais ils se retournent ensuite contre les Tchetniks qu’ils désignent comme des fascistes et des collaborateurs. Mihailovic est exécuté et les communistes prennent le contrôle du pays, sans pour autant se soumettre aux ordres de Staline. Ils ré-introduisent le dinar yougoslave au taux de 1 nouveau dinar pour 20 anciens dinars de Serbie ou 40 kuna dès 1944 puis fondent la nouvelle Yougoslavie communiste en 1945.
Ainsi, de 1945 à 1989, la Yougoslavie est un Etat communiste, non aligné sur Moscou, qui se dote d’une économie socialiste originale relativement stable. Le dirigeant, Tito, d’origine croate, s’attache à maintenir la paix dans son pays en rétablissant l’équilibre entre les différentes peuples de sa confédération. Les richesses sont plutôt bien partagées, le tourisme populaire se développe sur le littoral dalmate, l’industrie, l’agriculture et la production énergétique nationale sont des secteurs suffisamment forts pour ne pas dépendre de l’URSS.
La mort de Tito en 1980 déstabilise le pays. Les mouvements nationalistes réapparaissent et l’économie est fragilisée par la crise que traversent tous les pays partenaires du bloc communiste. Le dinar serbe, qui officiellement devait correspondre à un cinquantième de dollar ne parvient pas à se maintenir et est victime de l’inflation. Malgré plusieurs réévaluations, le dinar s’effondre dans les années 80 et il faut imprimer des nouveaux billets avec des valeurs faciales plus importantes de 5 000 en 1985, 20 000 en 1987, 50 000 en 1988 jusqu’à 2 000 000 en 1989 tandis que la monnaie divisionnaire, le para, disparaît !
Slobodan Milosevic profite alors de la montée de ces tensions pour se faire élire président de la Serbie en mai 1989. Il concentre aussitôt tous les pouvoirs et réduit l’autonomie des autres provinces provoquant la colère des nationalistes des autres ethnies. C’est le début de l’éclatement de la Yougoslavie et d’une longue guerre civile.
LES GUERRES DE YOUGOSLAVIE ET LA PETITE SERBIE
Profitant de la confusion provoquée par la chute du mur et la démocratisation des républiques socialistes de l’Est de l’Europe, les leaders indépendantistes organisent des élections libres en Bosnie, en Macédoine, en Slovénie et en Croatie. Suite à ces élections qui voient le triomphe des partis nationalistes, la Slovénie et la Croatie proclament leur indépendance le 25 juin 1991. La Bosnie et la Macédoine font de même quelques semaines plus tard. Les Serbes perdent alors leur domination sur ce qui est désormais l’ex-Yougoslavie mais ils tentent de sauver ce qu’ils peuvent en soutenant toutes les minorités serbes là où elles sont présentes, par la force s’il le faut, déclenchant ainsi une guerre terrible marquée par de fréquentes opérations de nettoyage ethnique.
Les autorités serbes ne parviennent cependant pas à éviter le naufrage du dinar qui entame une chute libre de sa valeur pendant toute la guerre et la période d’hyper-inflation entre 1991 et 1994. En effet, tandis que les Croates et les Slovènes se dotent d’une nouvelle monnaie, le dinar doit régulièrement être remplacé car l’impression de billets avec des valeurs faciales atteignant des records de 5 voire 50 millions de dinars ne suffit pas à répondre aux besoins de l’inflation. Une première réévaluation avait eu lieu en janvier 1990 au taux de 10 000 anciens pour un nouveau dinar mais le rythme des réévaluations s’accélère.

Le 1er juillet 1992, 10 dinars sont remplacés par un nouveau dinar de Serbie, de Krajina, l’enclave serbe de Croatie, ou de « republika srpska », la partie serbe de la Bosnie. Le 1er octobre 1993, il faut à nouveau remplacer un million d’anciens dinars par un nouveau puis 1 milliard pour un nouveau dinar le 1er janvier 1994. Cet hiver 1993- 1994 correspond au paroxysme de la crise monétaire inflationniste durant la guerre qui opposent la Serbie, soutenue par la Russie, et les indépendantistes musulmans bosniaques et les Croates, soutenus par l’Occident.
Les billets, à peine imprimés, ne valent déjà plus que leur valeur en papier et il faut se précipiter dans les magasins pour acheter des denrées. Certaines entreprises choisissent de payer leurs salariés en nature. Le 6 janvier 1994, un « novi dinar » est introduit, cette fois-ci le gouvernement choisit de le stabiliser en imposant une parité fixe avec une monnaie forte, le deutsch mark, mais bientôt cette nouvelle tentative échoue et il faut près de 13 millions de dinars pour un DM trois semaines après son introduction.
Le 24 janvier, un « super dinar » vient remplacer le novi dinar au taux de 1 pour 10 millions. La situation ne se stabilise alors qu’avec l’apaisement du conflit en 1995 sous la pression des Etats-Unis et de l’OTAN qui organisent des frappes jusqu’au coeur de Belgrade pour forcer les autorités serbes à accepter les accords de Dayton. Une paix précaire s’installe car bientôt c’est la minorité albanaise du Kosovo qui réclame sont indépendance. La guerre du Kosovo en 1999 ne permet donc pas à la Serbie de redresser son économie.
Le commerce extérieur est toujours bloqué sous la pression des occidentaux, ce qui a des effets inattendus. En effet, les agriculteurs serbes ont été dans l’incapacité de se procurer des engrais et des pesticides pendant plus de 15 ans depuis le début de la guerre. Le ministère serbe de l’agriculture est alors en train de développer un programme de développement de l’agriculture biologique qui pourrait permettre de relancer ses exportations maintenant que le pays est à nouveau intégré dans les relations commerciales européennes.
En 2000, la mention « nouveau » est supprimée et toutes les monnaies redeviennent simplement des dinars. Le Monténégro ayant abandonné la zone dinar pour adopter le deutsch mark en novembre 1999, le « dinar de Serbie » remplace le « dinar de Yougoslavie » en 2003. La croissance économique est repartie depuis le début des années 2000 avec des taux supérieurs à 6% ce qui a fait dire aux économistes que le pays était le nouveau « Tigre des Balkans » en référence aux tigres d’Asie. La monnaie Serbe reste cependant fragile et le PIB est toujours inférieur à celui d’avant 1990 donc il faut à nouveau émettre des billets à valeur faciale élevée jusqu’à 5 000 dinars !
La reconstruction des infrastructures détruites lors des conflits demande du temps et de l’argent qui oblige le gouvernement Serbe modéré à se rapprocher de ses principaux partenaires qui sont la Russie et l’Union Européenne. D’ailleurs, depuis 2006, le Kosovo et le Monténégro utilisent l’euro comme monnaie, la Serbie et les territoires serbes de Bosnie sont donc les derniers à utiliser le dinar. Le gouvernement Serbe a également annoncé sa candidature à l’entrée dans l’Union Européenne en 2009 après avoir montré sa bonne volonté en permettant l’arrestation de plusieurs criminels de guerre dont le fameux Radovan Karadzic arrêté en 2008 pour être livré au tribunal pénal international de la Haye.

Dernièrement, le premier ministre serbe a accepté de recevoir à Belgrade son homologue albanais pour tenter de normaliser les relations entre les deux pays malgré les pressions ultra-nationalistes vues dernièrement lors d’un match de football.