2013 a été l’année du 850e anniversaire de la cathédrale Notre Dame de Paris. En cette occasion, le carillon a été renouvelé afin de ressembler à nouveau à celui qui avait été installé au XVIIe siècle. Huit nouvelles cloches ont été fabriquées dans une des dernières fonderies de cloche de France, la fonderie Cornille-Havard, installée depuis 1865 à la limite de la Normandie et de la Bretagne, à Villedieu-les-Poêles. En fait, les cloches d’origine avaient été fondues à la Révolution pour être transformées en canons. Mais nombre des cloches des églises de France furent également décrochées et fondues pour être transformées… en monnaie.
UNE DÉCISION TRÈS POLITIQUE
La problématique première à laquelle est confrontée la Révolution est le manque de métal à monnayer, celui-ci s’étant « caché » ou « enfui » en grandes quantités en attendant des jours meilleurs. L’adoption en 1791 du système décimal, qui remplace le système duo-décimal de l’Ancien Régime, et de nouveaux types monétaires, sont freinés par cette pénurie. L’Assemblée Nationale a décidé le 11 juin 1790, de faire décrocher les cloches des églises, devenues biens nationaux, dans l’idée d’utiliser leur métal pour frapper des monnaies de petite valeur faciale. 100.000 cloches seront ainsi décrochées en 1792.
LE « MOUTON » : UNE SOLUTION VIABLE ?

Mais il ne suffisait pas de prendre cette décision, encore fallait-il que la réalisation soit possible. Or, le métal de cloche est très cassant et ne supportait souvent pas la frappe. Les flans éclataient tout simplement, ou au pire, ne supportaient pas l’empreinte des coins, ce qui rendait les pièces quasi illisibles. Plusieurs débuts de solution furent néanmoins trouvés. Tout d’abord, ajouter du cuivre au métal de cloche pour le rendre plus réceptif à la frappe. Mais malheureusement le cuivre manquait. Les inventeurs furent donc invités à se pencher sur cette question et un concours fut lancé. Des ouvriers lyonnais, réunis sous le nom de « Société des artistes réunis de Lyon pour le monnayage spécial du métal de cloche pur », sous la direction de Jean-Marie Mouterde tentèrent de développer un processus de frappe innovant. Ils touchèrent bien un prix de 30.000 francs, mais le processus s’avéra inexportable dans les ateliers monétaires du royaume. A Paris, Alexis-Marie Rochon, astronome et membre de la Commission des Monnaies, dans son « Essai sur les monnaies anciennes et modernes », vante l’utilisation d’un autre procédé, le « mouton », système « moins onéreux et plus maniable qu’un balancier ». Le système en lui-même n’est pas nouveau car de nombreux graveurs des ateliers monétaires l’utilisent déjà à la fabrication de coins, il n’y a que le format qui change. Sa fabrication et son installation ne sont pas sans poser de problème. Compte tenu de son poids, il faut l’installer en un lieu sans cave ou sur un terrain solide. Et, si possible, à l’écart d’autres bâtiments, car les vibrations perpendiculaires et continuelles de la machine pourraient les ébranler.
UNE MACHINE « RUSTIQUE »
Il s’agit d’une masse de métal cylindrique, hissée par des ouvriers à l’aide de cordes et de poulies : relâchée à la verticale, elle va percuter le flan de métal de cloche placé par le monnayeur pour lui donner l’empreinte voulue. Ses avantages : il est doublement économique car peu couteux à fabriquer et nécessitant moins de personne pour le manoeuvrer. On peut donc, potentiellement, en bâtir un peu partout et, en particulier, en dehors des Hôtels des Monnaies habituels, à proximité des stocks de cloches.
Mais ces avantages ne cachent pas les nombreux inconvénients dont le plus important est la mauvaise qualité de la frappe qui génère un rebut inhabituel dans la fabrication des monnaies. Cela fonctionne tout de même en partie. Prenons l’exemple de l’atelier de fabrication de Saumur qui reçoit les cloches du district et, à partir de 1792, commence les frappes au mouton, grâce à des coins envoyés par la Monnaie de Paris. Plusieurs millions de pièces y seront ainsi frappées avec la lettre T, qui, normalement, désigne l’atelier de Nantes. Un point y est ajouté à droite, à gauche ou au-dessus pour permettre d’identifier cet atelier temporaire.
TYPOLOGIE DES ÉMISSIONS
La loi du 11 janvier 1791 crée les premières pièces dues à Benjamin Duvivier, qui, à l’avers portent le buste du roi à droite et la légende (en français et non en latin) LOUIS XVI ROI DES FRANCAIS (ou FRANCOIS parfois). Le revers porte une couronne de feuillage traversée par un faisceau de licteur. La valeur faciale apparait dans la couronne, de part et d’autre. La légende en est LA NATION LA LOI LE ROI. Au bas, la date est exprimée à la fois dans le calendrier grégorien et dans le nouveau calendrier révolutionnaire, sauf sur la pièce de 2 sols (due à Dupré) sur laquelle l’une apparaît à l’avers et l’autre au revers.
Les premières à être fabriquées sont les pièces de 2 sols et de 12 deniers. De nombreux ateliers monétaires français en frapperont. Elle est suivie, suite à un nouveau décret du 2 septembre 1792, par les coupures de 3 et 6 deniers. La fabrication est, là, beaucoup plus limitée. Avec la Convention, les modules ne changent pas mais les types nouveaux, dus à Dupré, sont définis par le décret du 26 avril 1793. Ils sont dits “aux balances”. L’avers montre la table de la loi, surmontée d’un symbole rayonnant, sur laquelle est inscrit “LES HOMMES SONT EGAUX DEVANT LA LOI”. De part et d’autre une gerbe de blé et une grappe de raisin. La légende est REPUBLIQUE FRANCAISE. Au bas figure la date exprimée dans le calendrier révolutionnaire. Le revers montre une couronne de feuillage traversée horizontalement par une balance et surmontée d’un bonnet phrygien. En son centre est inscrite la valeur faciale. Au bas figurent la lettre d’atelier et, en 1793, le millésime exprimé dans le calendrier grégorien. On en trouve 3 coupures différents : 2 sols, 1 sol et un demi-sol.
Les frappes en métal de cloche sont assez faciles à reconnaître. Elles sont généralement d’une couleur tirant sur le brun ou le vert et, même lorsqu’on a l’impression qu’elles n’ont pas ou peu circulé, les reliefs sont “mous” et l’inscription sur les tables de la loi sont totalement ou partiellement illisibles.
Toutes ces pièces sont rares et en bon état.
Finalement, compte tenu de la difficulté, ces fabrication cesseront en 1794. De plus, les guerres de la République nécessitent la récupération de ce métal pour le transformer… en canons. Une expérience qui aura donc tourné court.