L’émission de pièces canadiennes ornées de Miss Canada, « une représentation visuelle de l’identité et des valeurs nationales du Canada », m’a amené à me pencher sur le sujet des allégories.
Larousse définit « allégorie » comme étant une « représentation, expression d’une idée par une figure dotée d’attributs symboliques ». Miss Canada est donc une allégorie, puisqu’elle représente « l’identité et les valeurs nationales du Canada ».
L’usage d’allégories sur la monnaie remonte aux temps anciens alors que la monnaie était ornée de divinités, elles-mêmes des allégories. On trouve, par exemple, Niké, divinité ailée qui personnifie la victoire, sur de nombreuses pièces anciennes comme ce distatère macédonien au nom d’Alexandre III (le Grand).

sur un distatère d’or
d’Alexandre le Grand.
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, on utilise fréquemment des allégories sur les billets de banque pour représenter des idéaux tel que l’abondance, le progrès et la fertilité. Mais nous nous pencherons plutôt sur les allégories qui représentent des pays et régions.
MISS CANADA
Parlons d’abord de Miss Canada. Elle apparaît dans les années qui suivent la création de la Confédération canadienne (1867). On la trouve utilisée dans de nombreux contextes, allant de la caricature et de la publicité politiques à la littérature et au cinéma. À ses débuts, cette figure allégorique canadienne est présentée comme étant la jeune et obéissante fille de Britannia, puisque le Canada était auparavant une colonie britannique.

C’est à Laurie McGaw que l’on doit cette nouvelle représentation de Miss Canada. Elle nous la présente assise sur un « trône » formé par le Bouclier canadien, vêtue d’une toge et coiffée d’une couronne de feuilles d’érable. Sa main droite est ouverte dans un geste de bienvenue tandis que sa main gauche tient un bâton. Le paysage entourant Miss Canada montre la diversité naturelle du Canada : imposantes montagnes, fleuve aux eaux pures et glaciales, vaste cours d’eau, rivage bordé d’une forêt sauvage. On aperçoit également un aigle dans le ciel et un poisson sautant hors de l’eau. Le bas de l’image est décoré d’une guirlande formée de feuilles de plus de 25 essences d’arbres du Canada.
La Monnaie Royale Canadienne l’offre sur trois pièces. La première est une pièce de 3 dollars en bronze (950 ‰ cuivre, 50 ‰ zinc) qui fait 35,75 mm de diamètre et pèse 19,2 g. La seconde est une pièce de 25 dollars qui contient 1 oz troy (31,39 g) d’argent fin (999,9 ‰) et fait 38 mm de diamètre. La dernière est également une autre pièce de 25 dollars, mais celle-ci est faite de ¼ oz troy (7,8 g) d’or fin (999,9 ‰) et a un diamètre de 20 mm. Leur tirage respectif est de 15 000, 8500 et 2000 exemplaires.
BRITANNIA
L’une des figures allégoriques les plus connues est sans l’ombre d’un doute Britannia, qui représente la Grande-Bretagne, tant la nation que l’île même. Elle retrace ses origines au temps des Romains. C’est une belle jeune fille vêtue d’une longue robe flottante, qui, aujourd’hui, tient un trident dans une main et un bouclier dans l’autre et qui porte un casque de centurion. On la trouve debout ou assise et souvent accompagnée d’un lion. On dit qu’elle ressemble à Minerve. Bien qu’elle ait orné les monnaies britanniques depuis le XVIIe siècle, elle voit le jour sur les as romains d’Hadrien qui règne de 117 à 138 après J.-C. et visite la Grande-Bretagne en 122 pour y construire son célèbre mur. Antonin le Pieux émet aussi des monnaies ornées de Britannia et certaines de celles-ci portent également le nom de cette dernière.
Britannia fait son apparition sur le monnayage britannique en 1672, sur le farthing (¼ penny) et le demi-penny de cuivre de Charles II. C’est la première fois que l’Angleterre émet des pièces de métal vil (en cuivre) pour remplacer les jetons privés qui circulent pour pallier le manque de numéraire.



de 1672
La représentation de Britannia a évolué au cours des siècles. À son introduction en 1672, elle est coiffée d’un chignon, assise faisant face vers la gauche, et tient une lance dans sa main gauche et une branche dans sa main droite (celle-ci est à la hauteur de la figure). Un bouclier arborant la croix de l’Union Jack est déposé à la droite. Elle est semblable un siècle plus tard (1777), mais est coiffée d’une couronne de laurier et sa main droite est à la hauteur de l’abdomen. Vingt ans plus tard (1797), elle a échangé sa lance pour un trident et on a ajouté des vagues à ses pieds et un navire en arrière-plan devant elle. Au début du XIXe siècle, elle est dorénavant assise faisant face vers la droite et est coiffée d’un casque grec ressemblant à celui
de Minerve. Sa main droite a laissé la branche pour se déposer sur le bouclier, qui est maintenant à la gauche. Le navire demeure devant elle, mais on a ajouté un phare derrière elle.
L’introduction de la monnaie décimale, en 1970, la voit bouger de la pièce de 1 penny à celle de 50 pence. Elle reste assise faisant face vers la droite, mais l’arrière-plan nautique a été éliminé. Elle tient maintenant le trident dans sa main droite et une branche dans sa main gauche. Enfin, on trouve à ses côtés, en arrière-plan, un lion restant.

Depuis 1987, Britannia orne les lingots monétaires britanniques d’or et d’argent du même nom. Neuf motifs différents, tant traditionnels que modernes, ont été utilisés au fils des ans.

MARIANNE
En France, la figure allégorique de la République est évidement Marianne. On la trouve assise ou debout et accompagnée de divers attributs : un coq, une cocarde tricolore, un bonnet phrygien. On considère Marianne comme étant LE symbole de la France et la personnification même de la République Française, mais elle n’est pas un symbole officiel – seul le drapeau s’est vu confier ce statut dans la Constitution.
Ses origines sont incertaines. Selon certains, elle est issue du tableau d’Honoré Daumier intitulé La République (1848) qui montre une Marianne à la Rubens qui allaite Remus et Romulus. D’autres croient qu’elle est issue de la statue de François Rude intitulée Départ des volontaires de 1792, communément appelée La Marseillaise, retrouvée sur l’Arc de Triomphe de Paris. D’autres croient enfin qu’elle est issue d’une chanson révolutionnaire du pays albigeois, la Garisou de Marianno (en français, la Guérison de Marianne). Écrite en octobre 1792, soit une dizaine de jours seulement après la fondation de la République, ce serait la première occurrence du prénom Marianne en tant que symbole de la République.
Peu importe ses origines, la Première République décide, en 1792, que son sceau arborera une femme debout coiffée d’un bonnet phrygien et tenant une lance, à l’encontre de l’image masculine de l’Ancien régime. On trouve un buste de Marianne dans les couloirs du Palais du Luxembourg, le siège du Sénat français, à Paris.




La Seconde République (1848) adopte deux Marianne. La première, guerrière au sein nu et bras levé en symbole de rébellion, est coiffée d’un bonnet phrygien et porte un corsage rouge. La seconde, plus timide, est vêtue d’une robe antique et a une tête rayonnante et est souvent accompagnée d’attributs tels que le blé, la charrue et le faisceau. Ces images représentent les deux visions de la République : la bourgeoisie et la démocratie sociale.
C’est au XVIIIe siècle que Marianne apparaît pour la première fois sur les monnaies. Bien qu’elle soit souvent décrite comme étant la « tête de la République », pour nous, Marianne est une toute jeune fille au bonnet phrygien. Elle a pris de nombreuses formes. Augustin Dupré nous la présente aux allures grecques et aux cheveux frisés. Un siècle plus tard, Jean-Baptiste Daniel-Dupuis a adouci ses traits, lui donne une chevelure ondulée et lui fait attacher une branche d’olivier à son bonnet. À la même époque, Jules-Clément Chaplain lui donne des traits plus durs que Daniel-Dupuis et plus doux que Dupré et ajoute une couronne de chêne par-dessus son bonnet. En 1929, elle prend des allures d’art nouveau. Pierre Turin la coiffe d’une couronne de laurier alors que Lucien Bazor lui donne des ailes. La représentation d’Henri Lagriffoul est peut-être la plus connue, ayant circulé pendant quatre décennies. Il nous la présente avec des traits très doux et la chevelure au vent. L’avènement de l’euro nous a amené une Marianne réinventée par Fabienne Courtiade. Elle nous offre son visage et une longue mèche de cheveux sur les pièces de 1, 2 et 5 centimes d’euro.

sur une pièce de 100 francs or 1935.



Louis Oscar Roty nous la présente dans son célèbre dessin, La Semeuse, à la fin du XIXe siècle. Elle est réinventée par Laurent Jorio pour les pièces circulantes de 10, 20 et 50 centimes d’euros. Joaquin Jimenez quant à lui, la réinvente pour de nombreuses pièces de collection libellées en euro.
EUROPA
Selon certains, le nom du continent européen vient de celui de la princesse phénicienne Europe (ou Europa), personnage mineur de la mythologie grecque.
Selon le mythe, Europe joue sur une plage de Sidon lorsqu’elle est approchée par un taureau blanc. Attirée par l’odeur d’un crocus qui se trouve dans sa bouche, Europe s’approche de l’animal et le chevauche. Le taureau l’amène alors sur l’île de Crète. Ce taureau est Zeus métamorphosé afin d’approcher la princesse sans l’apeurer et pour échapper à la jalousie de son épouse Héra. Zeus, ayant reprit sa forme humaine, et Europe s’accouplent et de cette union naissent trois enfants.



Il est donc naturel qu’Europe soit utilisée comme l’allégorie pour le continent et que celle-ci soit habituellement représentée sur le dos d’un taureau, comme sur la pièce grecque de 2 euros, représentation qui remonte à 81 avant J.-C. On ne trouve qu’une partie de sa tête sur les pièces françaises de collection du type « Europa ».
AUTRES ALLÉGORIES
Parmi les autres allégories que l’on trouve sur les monnaies, notons Roma, pour Rome, et Helvetia pour la Suisse.

