Périclès est célèbre pour son portrait casqué que l’on peut retrouver sur les anciennes pièces grecques de 20 drachmes. L’homme à la tête d’oignon, ainsi surnommé par les auteurs comiques de son époque, symbolise à lui seul la grandeur passée d’Athènes. Le siècle d’or de la démocratie athénienne est d’ailleurs parfois appelé « siècle de Périclès ». S’il a permis quelques progrès dans la démocratie, il n’en a pas moins mené une politique impérialiste, parfois violente, envers les autres cités devenues ses alliées depuis les Guerres Médiques. L’une de ses mesures fut l’obligation d’utiliser la monnaie athénienne reconnaissable à sa chouette, en lieu et place de toutes les autres monnaies souveraines des cités du pourtour de la mer Egée, même quand celles-ci disposaient d’une monnaie aussi prestigieuse et parfois plus ancienne que celle d’Athènes.
LE BERCEAU DE LA DÉMOCRATIE
Depuis les réformes de Clisthène vers 509- 507, la cité d’Athènes est considérée comme une démocratie où tous les citoyens ont des droits égaux mais le pouvoir n’est pas encore vraiment entre les mains du peuple, les grandes familles aristocratiques continuent de monopoliser toutes les fonctions importantes telles celles de stratèges, les responsables de l’exécutif et des questions militaires, ou celles d’archontes, les responsables des questions religieuses et judiciaires.
Périclès naît en 495 dans l’une des plus puissantes familles d’Athènes, celle des Alcméonides. Il est le fils d’un homme politique nommé Xanthippe et il connait les premières heures de gloire d’Athènes qui vainc les Perses à Marathon en 490 puis à Salamine en 480. A l’issue de ces deux brillantes victoires menées par le fameux stratège Thémistocle, une ligue maritime est formée en 477 pour contrer une éventuelle nouvelle attaque des Perses. Les cités ioniennes les plus exposées au danger, ainsi que la plupart des cités maritimes de la mer Egée, s’empressent de participer à cette ligue placée sous la direction d’Athènes. Une contribution de chaque allié est fixée à 460 talents par l’Athénien Aristide, lui même stratège à Marathon. Le trésor est placé sur la petite île de Delos qui devient le siège de la confédération. Chaque cité dispose alors d’un droit de vote égal pour toute décision mais Athènes est déjà la cité qui en tire le plus grand profit économique au grand dam des cités rivales, Sparte et Corinthe.
A cette époque, Périclès est un jeune plutôt discret et introverti qui consacre tout son temps à ses études. Il apprécie tout particulièrement les arts et la philosophie. Il se forge alors un caractère qui demeurera l’une de ses principales qualités, celui d’un homme vertueux, calme, amoureux des arts et soucieux du prestige de sa cité. Il n’hésite cependant pas à fréquenter de nombreux philosophes ou artistes étrangers de Syracuse, de Milet ou même de Corinthe car il sait le profit qu’il peut en tirer. Il ne démarre sa carrière politique qu’en 472 lorsqu’il offre une tragédie d’Eschyle en spectacle au peuple pour commémorer la victoire historique de Thémistocle sur les Perses, glorifier la cité et ses citoyens et surtout montrer qu’il peut être désormais un homme politique de qualité.
En 463 il participe à l’ostracisme de l’un des adversaires de sa famille politique, le conservateur Cimon. Ainsi, il aide le parti démocratique, plutôt populiste, à faire progresser ses idées et en devient bientôt le principal leader à partir de 461. Il est donc partisan d’une politique sociale favorable aux citoyens les plus pauvres. Il fait ainsi voter des décrets permettant aux plus modestes d’assister aux spectacles gratuitement et en 454, il instaure le fameux « misthos » qui permet aux citoyens tirés au sort pour exercer des fonctions publiques, de toucher une indemnité en compensation des journées de travail perdues au service de la cité. Cette mesure permet donc au plus grand nombre d’accéder aux fonctions publiques et déplaît forcément aux riches familles aristocratiques qui commencent à critiquer la politique jugée « démagogique » de Périclès.
En tant que stratège il participe aussi à toutes les campagnes militaires menées par Athènes et prononce les éloges funèbres des soldats citoyens morts au combat pour la cité. Piètre soldat, il assiste impuissant aux échecs des expéditions en Egypte et à Chypre mais il tient à faire de la Ligue l’outil de la grandeur d’Athènes.
LE SIÈCLE D’OR D’ATHÈNES

Ainsi il soumet les autres cités concurrentes en les obligeant à livrer leur flotte en plus du paiement du tribut. Egine se voit donc affaiblie au profit d’Athènes et du Pirée qui devient le plus puissant port de la Grèce. En 454, Périclès prétexte une question de sécurité pour déplacer le trésor de la Ligue de Delos à Athènes. Il obtient également qu’un sixième du trésor soit consacré à Athena, permettant ainsi la mise en construction de temples et d’une magnifique statue de la déesse dont il confie la réalisation à son ami l’artiste Phidias. Il commence alors à puiser abondamment dans cette vaste manne pour financer tous les fabuleux travaux qu’il envisage pour sa cité. Certains historiens estiment qu’il s’agit du plus grand détournement de fonds publics de l’Histoire !
En 450, il peut lancer la reconstruction de l’acropole incendiée en 480 par les Perses et fournir du travail à toute la population d’Athènes. Les artisans, les commerçants et les simples citoyens en tirent tous profit et soutiennent leur stratège devenu un véritable chef d’Etat unique et populiste. L’argent de la Ligue permet également l’organisation de jeux, de fêtes religieuses et de pièces de théâtre qui contribuent à souder les citoyens athéniens derrière leur chef et leur cité mais aussi à montrer à toutes les autres cités l’hégémonie d’Athènes sur la Grèce. En l’espace de quelques années seulement, la cité d’Athènes se couvre de magnifiques temples que l’on peut encore admirer aujourd’hui, le tout au dépend des autres cités. La fameuse Ligue maritime est donc devenue progressivement un empire athénien et Périclès en profite pour imposer le système de poids et de mesures en vigueur à Athènes.
Ainsi, de 443 à 429, Périclès est réélu stratège tous les ans sans discontinuer. Ces ennemis considèrent alors qu’il ne s’agit plus d’une démocratie mais d’une monarchie du « premier des citoyens ». En effet, toutes les volontés politiques de Périclès ne sont désormais plus contestées et sont aussitôt votées et appliquées.
Le paroxysme de l’hégémonie d’Athènes sur les cités de la Ligue est atteint durant cette période quand Périclès parvient vers 447 à contraindre les autres membres à accepter l’utilisation des monnaies athéniennes à la chouette en lieu et place de leurs nombreuses monnaies qui connaissaient bien souvent une circulation locale mais qui demeuraient des symboles de leur souveraineté. Cette unification monétaire et cette simplification des mesures est pratique pour le développement du commerce mais c’est une violation criante de l’indépendance des autres cités. Chaque cité doit abandonner son droit de frappe et apporter l’argent à Athènes pour qu’il soit refrappé avec à chaque mine d’argent apportée une commission de 5 drachmes pour l’atelier monétaire d’Athènes.
Les premières à céder sous la contrainte sont les petites cités dont les monnaies connaissaient un rayonnement restreint. Les cités les plus importantes ont, dans premier temps, pu conserver la frappe de leurs petites monnaies divisionnaires, celles réservées au marché local, mais toutes les monnaies importantes, capables de faire de l’ombre à la chouette athénienne, sont vouées à disparaître. Ainsi, les célèbres statères d’Egine à la tortue apparue dès le milieu du VIe siècle et les fameuses « euboïques » au quadrige d’Erétrie et de Chalcis en Eubée disparaissent à leur tour à la veille des guerres du Péloponnèse. Seules les cités les plus éloignées ou nécessitant la conservation d’une monnaie bien établie contre un ennemi voisin commun comme à Ephèse face à l’empire Perse, sont préservées. Plusieurs cités comme Mégare, Erétrie ou Samos tentent alors de se rebeller mais elles sont sévèrement réprimées par Périclès qui n’hésite pas à faire preuve de la plus grande férocité afin de faire un exemple comme à Samos en 440.
Les années suivantes il est pourtant amené à réprimer plusieurs révoltes dans la région du Pont et il lance la construction des « longs murs » reliant Athènes au port du Pirée devenu l’atout indispensable de la cité. Sur le plan intérieur, Périclès est contesté par plusieurs adversaires politiques qui cherchent à le « détrôner » et critiquent ouvertement son attitude hautaine et volontairement populiste. Il est ainsi accusé de détournement d’argent devant servir à la construction des temples de l’acropole… mais il répond en utilisant ses propres fonds privés et en menaçant de faire apposer son nom sur les monuments si les représentants de la cité estiment qu’Athènes n’est pas en mesure de payer ces travaux sacrés. Sa compagne, une intellectuelle réputée du nom d’Aspasie, connue pour tenir salon avec les plus grands philosophes de son temps, est elle-même accusée de pervertir les jeunes filles de l’aristocratie athénienne.
On pense même qu’elle exerce une trop grande influence sur le maître de la cité. Les auteurs comiques se moquent ouvertement de celui qu’ils surnomment « tête d’oignon » en raison de la forme inhabituellement allongée de son crâne. Certains historiens antiques comme Plutarque prétendent qu’il est alors obligé de porter constamment son casque de stratège pour cacher sa malformation. En réalité, bien d’autres stratèges sont représentés casqués de la même manière car il s’agit de l’un des attributs habituels de tout stratège en fonction à Athènes.
LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE

En 432, Sparte et la Ligue du Péloponnèse déclarent la guerre à Athènes et ses alliés. Périclès a tout fait pour l’éviter car il connaît le coût d’une telle guerre mais la haine tenace des adversaires d’Athènes comme la cité commerçante de Corinthe qui craint l’emprise commerciale de la Ligue maritime sur la mer Egée, rend le conflit inévitable. Périclès, qui connaît la supériorité de la force armée spartiate, refuse l’affrontement direct et préfère enfermer la population derrière les grands murs qui protègent la cité laissant les troupes ennemies ravager les campagnes de l’Attique. Dans le même temps il envoie sa flotte piller les littoraux du Péloponnèse pour contraindre les Spartiates à se retirer. Les deux territoires sont ainsi régulièrement ravagés et plusieurs cités en profitent pour quitter la Ligue maritime comme Lesbos en 429 mais la stratégie de Périclès s’avère dramatique.
La population manque de nourriture même après le départ des ennemis car les récoltes ont été ravagées et la promiscuité favorise la propagation des maladies. Ainsi, une épidémie de peste décime la population athénienne dont les propres fils de Périclès avant qu’il n’en soit victime lui-même. Ainsi meurt Périclès en 429 à l’âge honorable de 66 ans. La prestigieuse cité ne tarde pas à décliner après la mort de celui qui symbolisait sa puissance. L’âge d’or d’Athènes est bien souvent associé au « siècle de Périclès ». En 421, Sparte et Athènes font la paix mais les deux cités sont ruinées. La flotte athénienne est anéantie devant Syracuse en 413 et la démocratie finit par laisser place à l’oligarchie en 411. Il faut cependant attendre l’arrivée d’Alexandre le Grand pour que la fameuse démocratie athénienne cesse de fonctionner normalement.
Elle aura été la première démocratie et Périclès aura été l’un de ces principaux représentants, mais aujourd’hui encore son rôle laisse des interrogations. Etait-il vraiment démocrate ou ne se comportait-il pas comme un tyran ou un monarque en s’appuyant sur le peuple ? Beaucoup d’historiens antiques, eux-mêmes issus de l’aristocratie, lui en font le reproche car sa politique lésait surtout leurs semblables jugés plus capables de diriger comme dans toutes les oligarchies. Les historiens récents s’interrogent plutôt sur son impérialisme et son intransigeance envers les autres cités, asservies pour lui permettre de mettre en place toutes ses réformes et sa politique de prestige.
En 1975, la Grèce rend hommage à Périclès en attribuant son célèbre profil avec le casque aux nouvelles monnaies de 20 drachmes. Pourtant, dix ans plus tard, avec l’émission de nouvelles séries de pièces en 1986, Périclès disparaît tandis que Homère, Artistote ou Alexandre le Grand conservent les faveurs du gouvernement et de la Banque Centrale. Aujourd’hui, depuis l’apparition de l’euro, que la Grèce pourrait d’ailleurs peut-être abandonner bientôt, seule la fameuse « chouette » symbole de la cité d’Athènes sous Périclès apparaît sur les pièces de 1 euro !