Parmi tous les trésors engloutis ou trésors marins, il en reste un qui constitue, au delà des océans, une énigme et une aventure qui fait l’objet, encore de nos jours, de convoitises et d’interrogations étonnantes. Voici l’histoire du trésor de Vigo.
Les guerres coûtent cher ! Des fortunes ! Et quand les finances nationales ne peuvent plus assurer les dépenses militaires, il faut bien trouver des expédients. La France et l’Espagne sont en guerre, et singulièrement en guerre maritime contre l’Angleterre et la Hollande.
Pour subvenir aux dépenses militaires, l’Espagne a de la ressource : l’or de l’Amérique. De l’Amérique du Sud, du Pérou et du Mexique. Or, à cette époque, nous sommes en l’an 1701, une formidable escadre de galions espagnols, chargés d’or et d’argent s’apprête à regagner l’Europe. Par sécurité la France envoie une escorte d’une vingtaine de navires de guerre, en renfort, pour accompagner la flotte espagnole sur le chemin du retour. La France elle aussi a besoin de l’or américain. Un petit arrangement avec les Espagnols, est donc le bienvenu. Protection contre rétribution.

On décide en France d’envoyer une escadre à la rescousse de la Flotte espagnole, commandée par Velasco. Le chef de l’escadre française, s’appelle lui Château-Renault. Le départ est donné et Château-Renault quitte donc Brest avec vingt-trois navires. Il atteint la Martinique en janvier 1702. Pour des raisons mal connues, ce n’est qu’au mois d’août suivant que les flottes française et espagnole se retrouvent à la Havane.
La flotte franco-espagnole, sur la route du retour vers l’Europe, fait halte aux Açores. Conseil de guerre des chefs pour faire le point : Château-Renault, est un petit malin, il propose de conduire la flotte à Brest, ou dans un autre port français de l’Atlantique. Velasco s’y oppose formellement. Il pense, sans doute à juste titre, que si le trésor est débarqué en France, on risque de ne plus jamais en entendre parler en Espagne.
Un des officiers qui participe au conseil intervient alors pour indiquer qu’il serait possible de gagner Vigo. Connaissant bien ce port, dont l’accès se fait par un goulet long et étroit, il affirme que la flotte y sera parfaitement à l’abri de toute attaque ennemie. Les commandants en chef, après une longue discussion, se rallient finalement à ce point de vue, et toute l’escadre met le cap au nord-est, sur la Galice.
Les navires arrivent à Vigo. Mais là, une surprise les attend. La flotte anglo-hollandaise attaque Cadix violemment et l’issue de la bataille ne fait aucun doute aux yeux de Velasco et Château-Renault : dès que les Anglais et Hollandais auront connaissance de leur présence et des trésors qu’ils ramènent d’Amérique dans leurs soutes, ils vont arriver toutes voiles dehors vers Vigo !
Pour les Espagnols, Vigo n’est pas très sûr. On pourrait changer de Port, au Nord de la Corogne, par exemple, où la défense serait mieux assurée. Mais le Français Château Renault est pressé de relâcher. Le nombre des malades, à bord de ses navires, ne cesse d’augmenter, il manque d’eau et de vivres. Il insiste donc pour que le choix de Vigo soit maintenu. Le 22 septembre 1702, tous les navires entrent dans le goulet. Il est temps, car les tempêtes d’équinoxe commencent. Ce goulet, long de mille cinq cents mètres, aboutit à une baie, dite de Saint-Simon, excellent mouillage mais qui, en cas d’attaque venant de la mer, constitue une véritable souricière.
L’ARMADA SE RASSURE
On organise la défense… On installe deux forts à l’entrée du goulet. On poste des canons, on amène des troupes. Infanterie et Cavalerie. Et on se rassure. Ainsi équipée, la rade devient imprenable.
En même temps, on se demande si par précaution, il ne serait pas judicieux, de débarquer l’or et l’argent des galions, et de mettre cette fortune à l’abri à Madrid. On discute de savoir si c’est une bonne idée. A Madrid, les politiques se réunissent, discutent, s’affrontent. Oui ? Non ? Le temps passe et on se perd en conjectures. Mais tout cela fait aussi beaucoup de temps perdu.
Côté français, Château-Renault s’impatiente. Lui qui connait bien les Anglais et les Hollandais et qui se rend parfaitement compte de ce que sa situation a de précaire, voudrait voir vider, le plus rapidement possible, les galions pour pouvoir gagner le refuge des ports français.
C’est alors qu’interviennent à leur tour les banquiers de Cadix, qui sont les principaux affréteurs des galions. Eux s’opposent formellement au débarquement des trésors ; ils font valoir que les routes sont peu sûres, que les pillards sont nombreux, et que le convoi risque fort de ne pas atteindre Madrid. Ce qui, au fond, n’est pas inexact…

Les discussions entre Français et Espagnols se font de plus en plus vives et, finalement, les uns et les autres ne se voient plus que pour des raisons de service. Château-Renault dont les équipages sont durement touchés par la maladie, hésite encore, cependant, à abandonner Velasco à son sort. Après tout, n’a -t-il pas rempli sa mission, qui consistait à accompagner les galions jusqu’à un port espagnol ?
Malgré la certitude, que tout ceci va mal finir, il décide de maintenir ses vaisseaux à Vigo, aux côtés des Espagnols.
De son côté, le commandant en chef espagnol, Velasco, se rend compte de la situation critique dans laquelle se trouve son escadre et comprend parfaitement la position de l’amiral français. Il finit par prendre une décision, après vingt-six jours d’hésitations, d’ordres et de contrordres, il fait décharger du vaisseau-amiral soixante cinq tonnes de lingots et de monnaies d’or, qui sont chargées sur quinze cents charrettes et deux mille mulets, que des soldats vont accompagner jusqu’à Madrid. Un peu plus tard, on décharge, d’autres galions, deux cent cinquante tonnes de métal précieux. Mais, faute de moyens de transport, cet or est entreposé dans le petit village de Redondela.
Ainsi, au total, trois cent quinze tonnes, sur les trois mille quatre cents tonnes qui se trouvent sur les galions, sont mises à terre. Il n’en arrivera que la moitié à Madrid. Ce qu’est devenu le reste, on l’ignore. Peut-être les pillards se sont-ils servis.
Malgré tout, à Vigo, on se rassure comme on peut. En effet, les nouvelles de Cadix, portent plutôt à l’optimisme. La Flotte anglo-hollandaise qui attaquait Cadix aurait été mise en échec. Du coup, une partie de la flotte britannique aurait mis le cap vers les Indes, et l’autre partie voguerait vers la mère-patrie, c’est-à-dire l’Angleterre.
Bien entendu, il n’en est rien ! L’amiral anglais George Rooke, fou de rage d’avoir échoué devant Cadix, se dirige vers Vigo, d’autant plus rapidement qu’il a appris, l’existence du fabuleux trésor accumulé dans les cales des galions espagnols. Cinquante vaisseaux anglo-hollandais se ruent vers la rade de Vigo. L’affaire va être rondement menée. Des troupes anglo-hollandaise débarquent, qui font fuir les milices espagnoles. Les forts sont pris ! On retourne les canons contre la flotte franco-espagnole coincée dans le goulet de Vigo. La flotte française est mise hors de combat. Plus rien ne sépare les Anglais du fabuleux trésor accumulé dans les galions.
LE DÉSASTRE FRANCO-ESPAGNOL
La catastrophe est imminente ! Velasco a suivi, heure après heure le désastre et la disparition des navires français de Château-Renault. Il comprend que ses galions n’ont plus aucune chance d’échapper à l’ennemi. Le choix, pour lui, est simple mais terrible : ou bien se rendre aux Anglais, en leur laissant tout ce qui se trouve encore à bord des galions, ou bien se saborder, afin que les richesses ramenées des Amériques, plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi, aillent par le fond.
Il choisira de se saborder. Les Anglais furieux, vont se ruer sur les galions, pour tenter de récupérer une partie des monceaux d’or ramenés d’Amérique. Finalement, Rooke parvient à s’emparer de six galions chargés de six cents tonnes d’or et d’argent, le sixième peut-être du total du chargement de la flotte espagnole. La plus grande partie de ce butin est transférée sur le plus gros des navires espagnols capturés par les Anglais, le reste étant réparti sur les vaisseaux anglais.

Après quoi l’amiral anglais décide de faire route vers l’Angleterre. Mais il est dit que Rooke joue de malchance. Alors que le galion sort du goulet de Vigo, il heurte un récif des îles Bayona et va par le fond. Un peu plus tard, ce sont un des navires français capturés et une frégate anglaise qui coulent à leur tour…
Pourtant, la flotte anglo-hollandaise parvient sans autres difficultés en Angleterre. Le butin est immédiatement transporté à la Tour de Londres, où il est estimé à un million et demi de livres sterling.
Que reste-t-il dès lors, de cette fortune ramenée à Vigo, une fois amputée d’un premier transport à Madrid, disparu ou volé par des pillards, et du butin « prise de guerre » des Anglo-Hollandais ? Toute la fortune bien sûr, en or et en argent, accumulée se trouve au fond de la rade de Vigo, après que les galions espagnols se soient sabordés. Il ne reste plus, qu’à se rendre à Vigo, pour la récupérer. Mais aucun gouvernement de l’époque n’a pu y parvenir.
En France, sitôt connue la nouvelle du désastre, on s’émeut autour de Louis XIV, qui dirige le Royaume en ce temps là. Mais rien d’autre ! Les éléments dira-t-il « sont entre les mains de Dieu ». En Espagne cependant on tente rapidement de repêcher le contenu des galions engloutis.
En réalité, le succès est mince, et les travaux sont bientôt arrêtés. Les difficultés sont en effet très grandes, car les galions gisent par quinze ou vingt mètres de fond, et aucun moyen ne permet alors aux plongeurs de descendre sans risque à ces profondeurs.
Au fil des années, les tentatives vont être nombreuses, pour tenter de repêcher le fabuleux trésor, mais elles se solderont presque toutes par des échecs. Le gouvernement espagnol, va alors autoriser les chercheurs de trésors à tenter leur chance… contre quatre-vingts pour cent de droit à verser au dit gouvernement espagnol.
Au XIXe siècle, un Ecossais du nom de Isaac Dickson va tenter l’aventure. Il sera sans doute le seul qui s’enrichira dans cette chasse au trésor. Car, si l’on en croit les habitants de Vigo, lui trouve l’or et l’argent. Bien mieux : il « oublie » de verser au gouvernement espagnol les quatre-vingts pour cent promis : un beau soir, sans tambour ni trompette, il lève l’ancre, après avoir enivré les gardiens chargés de contrôler ses travaux.
Depuis la réussite d’Isaac Dikson, de nombreux chercheurs, plus ou moins bien équipés, sont venus à Vigo. Mais un obstacle gêne considérablement les tentatives : deux petites rivières se jettent dans la baie, y apportant des tonnes de boue qui, malgré les marées, se sont accumulées depuis trois siècles. Le dernier en date des essais est celui de l’Américain Potter. Commencés en 1958, les travaux ont permis de découvrir de nombreux objets, des armes, des urnes, des pièces de bois… et un nombre considérable de bouteilles de rhum. Mais de lingots ou de pièces point.
Vigo et ses galions fabuleux, garderont longtemps encore leurs secrets.